Il a répondu rapidement à notre demande et s'est montré très disponible. Xavier, policier à la retraite, souhaitait parler du métier qu'il a fait durant plus de 30 ans. Face à la crise qui secoue son ancien employeur, il nous éclaire sur le quotidien de policier. Grand entretien.
Xavier, vous vous êtes montré disponible très rapidement pour cet entretien, vous avez envie de parler de votre métier?
Oui, tout à fait, je pense que c'est toujours utile d'échanger sur ma profession et d'expliquer ce que j'ai vécu en tant que policier. Je suis quelqu'un qui aime aller au contact des gens et suis ouvert sur ces questions.
Nous allons évoquer rapidement votre parcours, vous comptez plus de 20 ans d'ancienneté à la police lausannoise et vous avez travaillé de nombreuses années dans un autre corps de police, vous êtes fier de votre profession?
Oui, bien sûr, si j'ai tenu tant d'années, c'est parce que je la trouve utile et qu'elle a un sens à mes yeux. Pourtant, cela n'a pas été de tout repos, je ne vous cacherai pas que j'ai eu une période très difficile où ma santé psychique a été fortement touchée.
Votre parcours est très varié, vous êtes passé par différentes spécialisations au sein des forces de l'ordre, mais nous allons parler de votre expérience au sein de la police de proximité, cette section n'a pas beaucoup de points communs avec police secours?
Pas vraiment. A «la prox», on ne court généralement pas après les délinquants, nous avons peu de situations d'urgence et nous ne travaillons pas de nuit. Notre rôle est de créer du lien avec la population et de faire de la prévention. Je dis toujours que c'est un travail de construction, cela prend du temps, mais les récompenses sont là.
Quelles récompenses?
Eh bien, vous connaissez les gamins, puis vous les voyez grandir et, quand ils commencent à faire des bêtises à l'adolescence, vous les rappelez à l'ordre.
Vous nous décrivez plutôt un métier social. On va vous reprocher de ne pas faire de travail sécuritaire avec ce type d'exemple?
Pas du tout. Je suis policier et je sais ce que je dois faire. Je travaille pour la sécurité des citoyens et ce que je vous raconte contribue aussi à préserver cette sécurité. Quand on voit ce qui s'est passé à Prélaz, on se dit que la police, les politiques et la société en général ont raté quelque chose. Je m'explique. Les jeunes qui brûlent des poubelles sont paumés, ils en veulent aux autorités et beaucoup ont des parcours scolaires difficiles, des parents qui ne peuvent pas s'occuper d'eux parfois.
Quand je travaillais à la police de proximité, nous allions à Prélaz, à la Bourdonette ou à Montolieu, si vous établissez un lien de confiance, certains vont faire moins de bêtises.
Vous avez un exemple à ce sujet?
A Prélaz, il y a quelques années, on voyait des caddies voler à travers les coursives de la Coop. Certains les balançaient depuis les étages. On a prévenu les jeunes en amont qu'il fallait «arrêter les conneries» car si cela se reproduisait, ils seraient arrêtés et menottés par des policiers qu'ils ne connaissaient pas.
Quand vous allez parler au jeune directement, vous voyez qu'il ne causera pas de problème, mais à cet âge-là, ils trouvent du soutien dans les groupes de copains et cela peut déraper comme à Prélaz ou dans d'autres quartiers.
Pour vous, Prélaz n'est pas un quartier dangereux?
Non. C'est un quartier multiculturel dans lequel de nombreux habitants ont des salaires bas. Cela peut contribuer à créer des groupes de jeunes qui font des bêtises, mais je ne le qualifierai pas de dangereux. A Prélaz, il y a une table ronde multiprofessionnelle qui se réunit chaque année, il y a une maison de quartier, il y a des possibilités de dialogue et cela a toujours été le cas lorsque je travaillais à la police de proximité. Il y a quelques années, on avait été invités à la maison de quartier par l'association des femmes musulmanes pour fêter l'Aïd (fin du ramadan).
Justement, comment est perçue la police de proximité par vos anciens collègues, étiez-vous moqués parfois pour vos activités?
Un peu, mais c'est normal. C'est la même chose concernant les gars du groupe d'intervention. Quand on les voit s'entraîner en permanence, on pense qu'ils passent leur temps dans les salles de sport, pour «la prox», c'était pareil, on nous disait: «Voilà les gars qui se baladent», mais je ne l'ai jamais pris personnellement. Je pense que certains collègues ignoraient tout simplement l'étendue de notre travail.
Mais, contrairement à vos collègues de police secours et de la police judiciaire, vous ne résolvez pas des affaires en arrêtant des délinquants?
Non, la mission de la police de proximité n'est pas d'arrêter des délinquants. Bien que nous ayons une arme, un uniforme et que nous pouvons intervenir comme nos collègues de police secours en cas d'urgence, notre rôle est d'être à l'écoute des habitants.
On vérifiait les informations et on les transmettait à la police judiciaire si on soupçonnait des délits ou du trafic de stupéfiants, par exemple. On découvrait aussi parfois des salons de massage. On voit de tout à la prox, mais le plus important, c'est de rester disponible pour les gens. Policier est un métier au service de la population et la prox en est un très bon exemple.
Nous voulions vous montrer certaines images qui ont été diffusées sur les groupes WhatsApp constitués de policiers, sur celle-ci où nous voyons un petit garçon de 5 ans qui s'est noyé accompagné d'une tirade humoristique, vous en pensez quoi?
Je suis choqué. Pour moi c'est totalement déviant de se moquer de ce genre de situation. Je ne sais pas comment se sont formés ces groupes WhatsApp et je ne connaissais pas leur existence, mais je tiens à faire la distinction entre les policiers qui ont envoyé ces montages et ceux qui font partie du groupe, mais n'ont pas participé aux échanges. Je m'explique. Pour un jeune policier qui vient d'être diplômé de l'académie qui veut se fondre dans le groupe et se faire accepter, il sera peut-être difficile de quitter le groupe.
La police peut être brutale si on ne rentre pas dans le moule, vous savez. Par contre, pour moi, un policier avec de l'expérience a le devoir de dénoncer les agissements au chef de section. Si le chef ne réagit pas, il peut faire appel au groupe de déontologie. Il y a des moyens au sein de la police pour dénoncer ce genre de comportement.
Les autorités ont parlé d'une omerta au sein de la police, est-ce un effet pervers du fameux esprit de corps qui est loué par les agents?
L'esprit de corps n'excuse pas les dérives comme celles-ci. L'esprit de corps, c'est un ensemble de valeurs que partagent les policiers, dont la loyauté, mais, face à des agissements qui ne sont pas éthiques de mon point de vue, un policier qui est droit dans ses bottes doit se distinguer et les dénoncer.
La police est-elle raciste, selon vous?
La police est à l'image de notre société, il y a comme partout des imbéciles et des racistes aussi.
Je voudrais quand même apporter un autre regard sur ce genre de comportement. A l'époque où j'ai commencé mon métier de policier à la fin des années 1980, nous entendions des plaisanteries de mauvais goût, aujourd'hui, ces plaisanteries se font sur les réseaux sociaux. Pour certains, ces groupes WhatsApp peuvent servir de décharge émotionnelle.
Permettez-moi de dire qu'il faut une sacrée dose de frustration pour se déverser de la sorte...
Oui et ce n'est pas beau à voir, je concède. Policier est un métier parfois rempli de frustrations. Prenez l'exemple du racisme, je ne crois pas, comme le disent certains médias, qu'un grand nombre de policiers soient racistes. Je pense que ces idées sont provoquées par la frustration.
Par exemple?
Quand un policier ne fait qu'arrêter des personnes de couleurs soupçonnées de faire du deal et que c'est le cas, ou qu'il est confronté en permanence aux mêmes profils, il ressent une grande frustration et perd aussi le sens de sa mission. Toutes les personnes de couleurs ne sont pas des délinquants, bien entendu, mais le policier ne voit que celles qui le sont et n'est plus capable de faire la distinction.
Prenons le cas des dealers, après les avoir arrêtées et dénoncées auprès du ministère public, le policier les retrouve quelques jours plus tard aux mêmes endroits où ils vont être arrêtés pour les mêmes infractions. Comme je vous l'ai dit, cela mène à une perte de sens pour certains.
Le policier n'est donc pas raciste à la base, mais le devient, c'est bien cela que vous dites?
Je ne cherche pas à excuser les mauvais comportements, je dis qu'il faut comprendre le cheminement.
Ce que vous avez vu sur ces messages WhatsApp c'est aussi le reflet de ce trop-plein à mon avis.
Avez-vous vécu des situations où vous avez ressenti ce genre de frustration?
Oui. A une époque, quand je travaillais avec police secours, ma mission était de «déranger» des SDF ou des Roms qui dormaient dans la rue.
Du centre-ville, ils se déplaçaient à l'avenue de France et de l'avenue de France à Prilly, bref, cela ne réglait rien, mais c'était nos tâches. C'est un exemple de la perte de sens qui peut toucher les collègues. Si je fais un parallèle, quand vous travaillez au groupe accident et que vous arrêtez quelqu'un pour une infraction routière, cela a du sens, car cela aurait peut-être permis d'éviter un accident. Mais quand vous délogez des SDF ou que vous amendez des Roms régulièrement et que vous les voyez revenir, vous perdez le sens de votre métier.
Vous parlez avec joie de vos années à la proximité, qu'est-elle devenue actuellement?
Vous n'êtes pas sans savoir que la police de proximité a été fusionnée avec police secours officiellement en 2024. Mais bien avant cela, on nous demandait de «faire preuve de souplesse» c'est-à-dire de travailler avec police secours dans l'hypercentre et de lâcher peu à peu nos tâches liées à la proximité. Il faut toujours contextualiser ces événements, la police n'a pas assez d'effectifs et, comme notre présence au centre-ville, à la Riponne et au Flon est devenue prioritaire, nous avons dû prêter main-forte à nos collègues de police secours.
Vous diriez que la police de proximité a été abandonnée?
Ce sont des décisions politiques et je ne les commenterai pas, mais oui, on constate qu'il reste moins d'une dizaine de policiers qui forment la police de proximité.
Le poste de la Pontaise a fermé et celui d'Ouchy a dû fermer en 2024 pour renforcer les patrouilles de la Riponne et du Flon. En 2025, «la prox» est répartie entre le poste de police mobile, sorte de bus qui va dans un quartier une fois par semaine, et des cafés police où les gens peuvent venir nous voir et parler de leurs soucis. A l'époque où j'y travaillais, nous ne déplacions tous les jours dans des quartiers de la ville et nous avions plusieurs postes où certains policiers pouvaient rester des années, comme à la Pontaise par exemple. Ce n'est plus le cas.
Quand on est policier, on ramène sa journée à la maison?
Alors ça, oui, je le faisais il y a très longtemps, au grand malheur de ma femme. Je racontais tout en détail, mon stress, mes traumatismes, c'était insupportable pour elle.
Aujourd'hui les policiers sont bien entourés, nous avons des psychologues et des débriefeurs et débriefeuses.
Avez-vous déjà utilisé votre arme?
Non, jamais. Elle fait partie de la fonction, mais je n'aime pas les armes à feu et je suis soulagé de ne l'avoir jamais utilisée.
Les policiers sont-ils superstitieux ou ont-ils des rituels?
Je ne suis pas superstitieux, mais oui, j'ai des rituels. Lorsque je finis mon travail, j'enlève mon uniforme et je le range soigneusement dans mon casier. Je ne rentre jamais à la maison en uniforme, c'est mon travail et cela ne doit pas empiéter sur ma vie privée. Parfois, je voyais de jeunes policiers venir au travail en uniforme, je trouve cela un peu étrange. Le vestiaire devrait être un sas mental, enlever son uniforme permet de se détacher de sa journée de policier.
Quel a été le souvenir le plus marquant de votre carrière?
C'est un événement qui est devenu traumatique. Un de mes collègues est décédé en mission. J'ai retrouvé son corps et cela m'a marqué à vie. J'ai travaillé dans plusieurs services différents et j'ai vu de nombreux corps. J'ai été en contact avec les familles des défunts suite à des accidents et ces émotions ne vous quittent jamais.
Je vois que vous êtes encore ému.
Oui, cela ne vous quitte jamais. Mais j'ai aussi de bons souvenirs, vous savez. Le meilleur, c'est mon jour de départ à a retraite où une fête a été organisée dans le quartier où je travaillais. Tout le monde s'était réuni pour me dire au revoir.
Vous conseillerez aux jeunes de devenir policier?
Je pense que devenir policier doit être une vocation, il faut vouloir être au service de la population, mais aussi faire preuve de réalisme. Comme je vous l'ai dit, on peut perdre de vue ses idéaux quand on est confronté à la réalité et à l'aspect répétitif de certaines déceptions. C'est un métier où la fatigue mentale est omniprésente, surtout à police secours. Quand j'étais jeune, je cherchais un métier varié, je peux dire que la police m'a apporté cette grande variété, c'est comme si j'avais eu plusieurs vies.