Quel est le sens de fonder un nouveau parti si celui-ci évolue en grande partie dans la clandestinité? D’un côté, les fondateurs espèrent ainsi conserver l’anonymat, de peur de perdre leur emploi. De l’autre, ils comptent sur le statut de parti pour se protéger de la surveillance exercée par les services de renseignement et la police.
Ces dernières années, à droite de l’UDC, c’est surtout le groupuscule identitaire Junge Tat qui s’est fait remarquer. Comme son nom l’indique, ce mouvement s’adresse exclusivement aux jeunes, principalement aux hommes.
Depuis la disparition du Parti des Suisses nationalistes (PNS) en 2022, de nombreux militants plus âgés de la scène d’extrême droite se sont retrouvés sans ancrage politique.
Dans ce contexte, il n’est guère surprenant que des efforts aient été rapidement engagés pour fonder un nouveau parti après la fin du PNS. Mais ce projet a toutefois été freiné par le manque de financement, des divergences idéologiques, et la manque de volonté de nombreux extrémistes de droite de s’exposer ou de s’engager activement.
C'est finalement comme ça que le Nationalpartei (Parti national) en né. En dehors d’une boîte postale à Weinfelden, dans le canton de Thurgovie, le parti dispose d’une adresse e-mail et d’un site internet rudimentaire, il reste totalement absent de la scène publique.
Ce n’est que grâce à une vaste fuite de données transmise à ce journal que l’on découvre aujourd’hui qui a réellement donner l'impulsion pour la création du Parti national, et quelles étaient les motivations. Parmi les noms qui apparaissent, on retrouve d’anciens militants notoires du national-socialisme, autrefois actifs au sein du PNS ou dans d’autres organisations d’extrême droite suisses et internationales. Mais nous y reviendrons.
Nous rendons visite à Otto R. en Suisse centrale. L’homme vit dans une maison individuelle aux murs ocre, avec une porte de garage bordeaux. L’entrée se trouve à l’arrière, côté jardin. Par une fenêtre entrouverte dans la porte, il demande ce que l’on veut. Dans un premier temps, il nie être le président du Parti national.
Mais lorsque nous lui parlons de la fuite de données, en évoquant par exemple le nom de son webdesigner, il se détend un peu et finit par reconnaître qu’il est bien le président de cette nouvelle formation politique. S’ensuit une longue conversation… à travers la petite fenêtre. Otto R. tient à ce que son adresse ne soit pas dévoilée. Il vit en effet avec sa mère, âgée de plus de 80 ans, dont il s’occupe.
Otto R. dit ne pas aimer le terme «néonazi». Il préfère, comme de nombreux extrémistes de droite nationalistes, être qualifiés de «national-socialiste». Les documents internes du Parti national, tout comme le passé d’Otto R., montrent qu’il souhaiterait une séparation culturelle de la Suisse alémanique d’avec la Suisse romande. Dans cette optique, il avait fondé il y a longtemps le mouvement Heimatbewegung, dont l’organe central, Volksruf, lui permettait d’exprimer sa verve rédactionnelle.
Dès 2022, alors que le naufrage du PNS semblait inévitable, quelques membres mécontents ont commencé à jeter les bases d’une nouvelle formation politique. A l'interne, un vif débat opposait ceux qui souhaitaient faire apparaître la référence au national-socialisme déjà dans le nom du parti.
Dans un document de travail, l’actuel président du parti proposait plusieurs appellations dans ce sens: Front populaire, Mouvement social national, ou Union du peuple. Otto R. envisageait également de reprendre le nom d'Action nationale contre l'emprise étrangère du peuple et de la patrie, un parti fondé en 1961, est devenu plus tard Démocrates suisses (DS).
Auparavant membre du PNS et du réseau néonazi International Blood & Honour, Otto R. plaidait dans ce document pour un éloignement du conservatisme national de l’UDC ou DS, au profit d’un alignement avec le national-socialisme originel. Ce grutier de 60 ans souhaitait cependant que l’idéologie soit exprimée dans le programme «sous une forme déguisée». Le nom finalement retenu de Parti national s’est au final avéré peu original.
Le logo retenu n’innove guère, avec une flamme rouge et une croix suisse en son centre, il fait beaucoup penser aux emblèmes du MSI italien, fondé après la Seconde Guerre mondiale par des fidèles de la République sociale de Mussolini, et celui du Front national en France.
Sur la photo de la fondation du parti, apparaissent, aux côtés du président Otto R., un politicien de l’Union démocratique fédérale suisse, ainsi que Hansjörg F., surnommé «Hase», et membre du réseau néonazi international Hammerskins.
Depuis le départ, Otto R. est la figure de proue du mouvement politique. Ces derniers temps, il s’est surtout fait remarquer par des courriers de lecteurs publiés dans la presse de Suisse centrale, mais à la lecture de ses textes, rien ne laisse deviner ses convictions radicales. Ce ne fut pourtant pas toujours le cas. Dans les années 1990, cet ouvrier du bâtiment appartenait au Front patriotique, une organisation accusée d’attentats contre des foyers pour requérants d’asile. Il avait alors écopé d’une peine de prison avec sursis.
Comme beaucoup de néonazis, les membres du Parti national rejettent la démocratie parlementaire. Conscients que leurs idées n’ont aucune chance d’être acceptées par l’opinion publique ou dans les urnes, ils choisissent une existence en marge, ponctuée de rencontres entre initiés.
Encore plus marginal que son prédécesseur, le PNS 2.0 évolue dans une totale insignifiance politique. En Suisse, survivre politiquement à droite de l’UDC reste très difficile, même si certains médias persistent à agiter le spectre d’un retour du «fascisme». Le seul mouvement d’extrême droite ayant un tant soit peu de dynamisme est Junge Tat, dont les jeunes membres ne prennent plus les anciens néonazis comme Otto R. au sérieux. Mais même Junge Tat n’exerce aucun pouvoir politique, et n’en exercera probablement jamais.
Traduit de l'allemand par Joel Espi