La conseillère nationale Anna Rosenwasser (PS) se trouvait au Parlement fédéral pour la session d’été, la semaine dernière, lorsqu’un message fait vibrer son téléphone:
Le SMS vient d’un membre de sa famille, en Israël. D’origine juive, Anna Rosenwasser décide de le publier sur Instagram. «C’est probablement le post le plus personnel que j’aie jamais partagé», confie-t-elle à watson. Nous l'avons rencontrée avant les derniers événements du week-end entre l'Iran et les Etats-Unis.
En général, l'élue évite de parler de sa famille. «C'est trop vite interprété comme une prise de position politique pro-Israël, donc contre la Palestine.» Mais cette fois, elle a partagé ce message parce qu’elle se sentait seule. «Et parce que ça me rend triste de voir comment on parle des guerres.», explique la conseillère nationale, présenté, lors de son élection, comme «la plus grande influenceuse LGBTIQ+ de Suisse».
Sa publication a suscité de l’empathie, mais également de la haine. La trentenaire a reçu des messages antisémites, des insultes. «Cela s’est aggravé depuis un an et demi», confie-t-elle. Mais elle a aussi reçu un message d’une personne ayant de la famille en Iran, qui disait: «Je te comprends.» «Ça m’a énormément aidée. Ça m’a montré que je n'étais pas seule.», raconte-t-elle.
Depuis l’élargissement du conflit au Proche-Orient de Gaza et d'Israël au Liban et à l’Iran, les débats en ligne ont pris une tournure violente. Sur TikTok, des internautes applaudissent les tirs de roquettes sur des immeubles et des hôpitaux israéliens. Certains, qui pleuraient encore des enfants palestiniens la semaine précédente, se réjouissent désormais des images d’incendies dans la banlieue de Tel-Aviv.
Cette dynamique n’est pas nouvelle, mais elle est «extrêmement dangereuse», alerte Anna Rosenwasser. La socialiste lance:
Elle rejette l’idée selon laquelle il faudrait obligatoirement choisir un camp, la Palestine ou Israël. «Moi, je suis pour l’humanité. Nous devons défendre en Suisse le droit international humanitaire, et protéger les civils, partout, à Gaza, en Israël, en Iran.»
Anna Rosenwasser a souvent critiqué le gouvernement israélien. Elle a co-signé des motions demandant au Conseil fédéral de condamner clairement les crimes de guerre commis à Gaza.
Mais elle défend aussi la protection de la population civile israélienne, comme elle le fait pour toutes les populations civiles qui se retrouvent sous les bombes. La Shaffhousoise a également condamné l’attaque israélienne contre l’Iran, qu’elle considère comme contraire au droit international. Elle précise cependant:
Ce qui manque dans les débats, selon elle, c’est la distinction entre les gouvernements et la population, et la différence qui existe entre les critiques et la déshumanisation. «Chaque vie humaine a la même valeur», insiste la conseillère nationale.
S’inquiéter pour ses proches, ou pour des civils innocents, n’est pas une question de nationalité, mais d’humanité. Pourtant, ce sentiment est souvent mis en balance, mesuré, politisé. «Dès que quelqu’un exprime son inquiétude pour des proches en Israël, il doit se justifier.», déplore-t-elle.
En tant que politicienne, Anna Rosenwasser reconnaît que les rapports de force dans ce conflit sont asymétriques. Mais plaider l’impuissance face à la violence conduit, dit-elle, «à de mauvaises décisions et à une perte d’empathie». Et les réseaux sociaux n’y sont pas pour rien.
Anna Rosenwasser déplore le fait que, selon elle, les réseaux sociaux exigent qu’on prenne position avant même de réfléchir. Ils favorisent les réactions impulsives. Elle dit:
Ancienne journaliste, l'élue croit en la puissance de l’analyse, et à la nécessité de prendre un temps. «Le journalisme de guerre nous place dans l’urgence. Mais justement, dans ces moments-là, il faut du contexte, pas seulement des gros titres.»
Anna Rosenwasser critique certains médias suisses lorsqu'«ils minimisent les crimes de guerre de l’armée israélienne». Mais elle défend aussi la profession. «Vérifier, contextualiser, expliquer, c’est le seul moyen de faire face à la détresse.», analyse-t-elle.
Ce que réclame la socialiste, ce n’est pas moins d’émotions, mais une conscience plus aiguë du fait que les sentiments ne sont pas toujours des positions politiques.
Et basculer dans des postures haineuses ne sert en rien les victimes des conflits. Anna Rosenwasser ne dit pas: choisissez Israël. Ni: choisissez Gaza. Elle dit: «Choisissez la population civile. Choisissez l’empathie. Choisissez la dignité.»
Car l’empathie, conclut-elle, est la dernière chose qu’il nous reste, et le minimum de ce qui fait l’humanité.
Traduit de l'allemand par Joel Espi