En bras de chemise et cravate à pois rangée sous le gilet de son costume trois-pièces vert loden, Ruben Ramchurn, coupe dégagée, assure sa propre défense. On se croirait tour à tour dans un film américain et à la terrasse d’un café marseillais, époque Delon-Belmondo dans Borsalino. Plus simplement, on est à Yverdon, au tribunal d’arrondissement de la Broye et du Nord vaudois.
Vêtu de sa robe noire, le président Olivier Peissard mène les débats. Face à lui, ceux qui vont peut-être siéger bientôt ensemble au Conseil municipal de la deuxième ville du canton de Vaud. Ce mercredi matin, ils s’affrontent devant la justice dans un procès civil.
Assistée de Me Simon Demierre, la conseillère municipale Brenda Tuosto demande une réparation de 5000 francs pour atteinte à la personnalité. L’élue socialiste reproche à celui qui brigue ces jours-ci un siège à l’exécutif yverdonnois, la diffusion, le 21 septembre 2023 sur TikTok et Facebook, d’une vidéo dans laquelle il emploie, à son encontre, accuse-t-elle, les mots «escroquerie», «magouille», «malversation», «tromperie» ou encore «arnaque». Sur mesures provisionnelles, la vidéo avait été retirée trois mois plus tard.
Le président Peissard veut-il aller vite? L’audience a commencé peu après 10h30. Il propose la solution la plus rapide: la conciliation. On frise le cliché du quart d’heure vaudois:
Il n’y a aura pas de conciliation. La benjamine de la municipalité, 36 ans, veut la condamnation de Ruben Ramchurn, de six ans son aîné. Lui veut bien s’excuser, comme il l’a fait la veille dans un communiqué, de la manière dont il l’entend, parce qu’il lui aurait fait de la peine.
Pas question. Elle demande qu’il reconnaisse avoir eu tort d’utiliser des termes «sans conteste attentatoires à l’honneur», affirme son avocat. Ruben Ramchurn s’y refuse. Ce serait admettre sa culpabilité. Or, ce mercredi, tenant dans une main un porte-documents floqué de l’insigne des grenadiers, souvenir de son école de recrues effectuée à 17 ans dans les troupes d’élite de l’armée suisse, il semble moins désireux de prouver son innocence que de refaire le match. Commentaire à voix basse dans la salle:
Refaire le match? Le 7 octobre 2021, alors élu UDC au Conseil communal, le législatif yverdonnois, Ruben Ramchurn est rapporteur du Plan d’agglomération de génération 4, le «fameux PA4», ironise un brin le président du tribunal. Trois mois plus tôt, la majorité de l'exécutif est passée à gauche. Lors de cette séance du 7, les socialistes, qui avaient jusqu’ici combattu le PA4, ne le font plus. Le rapporteur apprendra par la suite que le PA4 a été modifié dans un sens voulu par la nouvelle équipe municipale, au détriment, entre autres, comprend-on, des places de parc en ville. Or Brenda Tuosto, qui vient de se faire élire à l’exécutif, dirige le dicastère de la mobilité, autrement dit, du trafic automobile. CQFD, se dit, furibard, Ruben Ramchurn.
Deux ans plus tard, de retour d’une longue parenthèse à l’Ile Maurice, celui qui va bientôt entamer son combat contre le deal de rue, envoie sur ses réseaux la vidéo contenant les noms d’oiseau.
Dans le tribunal d’arrondissement de la Broye et du Nord vaudois, Ruben Ramchurn tente un virage à 180°. L’accusé se mue en accusateur. Sa cible: la municipalité. Me Demierre intervient:
Le président semble d’accord sur ce point avec l’avocat de Brenda Tuosto. Après une brève interruption d'audience, il s’oppose à la demande de Ruben Ramchurn, qui souhaite faire entendre quatre témoins, dont l’actuel syndic d’Yverdon, le socialiste Pierre Dessemontet, afin de démontrer la pertinence de ses arguments. Olivier Peissard estime que les termes en cause visent Brenda Tuosto et non la totalité du Conseil municipal, comme aimerait en convaincre celui qui a des chances d’accéder à la municipalité dans moins de trois semaines, lors d’un second tour qui l’opposera au socialiste Julien Wicki.
Ruben Ramchurn lance à son tour au président du tribunal:
Il est question du temps mis par la plaignante pour déposer plainte. Trois mois à compter de la diffusion de la vidéo. L’accusé parle de «plainte politique». Atteinte à l’honneur? En tout cas, elle n’aura pas porté préjudice à celle qui s’en dit victime, au contraire, affirme, en substance, celui qui siège pour l’heure encore au législatif de la ville comme indépendant. Un mois après que la vidéo avait été postée sur TikTok et Facebook, 20 000 vues sur chaque plateforme, selon la partie civile, Brenda Tuosto était élue au Conseil national, à Berne.
Victime pour victime, Ruben Ramchurn estime avoir reçu son compte:
Dans sa plaidoirie, Me Demierre insistera sur l’aspect «calomnieux» des mots utilisés par Ruben Ramchurn dans sa vidéo. Le terme de malversation, sans doute le plus embarrassant pour l'accusé, ne souffre aucune ambiguïté, selon lui.
La décision du tribunal est mise en délibéré. Brenda Tuosto n'aura pas pris une seule fois la parole durant l'audience.