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Climat: «L'aviation représente un quart de l'impact en Suisse»

Pourquoi les billets d'avion sont-ils si peu chers? Yves Chatton, de Transports et Environnement, répond.
Pourquoi les billets d'avion sont-ils si peu chers? Yves Chatton, de Transports et Environnement, répond.Image: Shutterstock

La fin de ce «privilège» de l'aviation peut rapporter gros à la Suisse

L'initiative «pour la responsabilité environnementale» des Jeunes verts a pour but de réformer nos habitudes pour sauver la planète. Parmi elles, le «coupable idéal» mais bien réel: l'avion. Pollue-t-il tant que ça? Que faire pour diminuer notre bilan carbone? On fait le point.
08.02.2025, 18:5609.02.2025, 11:28
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Ce dimanche, c'est votations! Les Jeunes verts ont lancé une initiative audacieuse, nommée «pour la responsabilité environnementale». Le but: ne pas dépasser les limites planétaires, une série de critères scientifiques et écologiques permettant de sauvegarder l'environnement et le climat.

L'initiative a fait l'objet de critiques, les solutions proposées n'étant pas vraiment claires ou précises. Il n'empêche, l'une d'entre elles vient à l'esprit de chacun lorsqu'il s'agit de parler de climat: le transport aérien. Outre l'exemple caricatural du «week-end à Barcelone», la question se pose pour tous les vacanciers qui partent une ou deux semaines à plusieurs milliers de kilomètres de là: faut-il faire le trajet en avion (rapide, bon marché mais polluant) ou en train (plus long, un peu plus cher et écologique)?

Si le secteur aérien n'est donc pas subventionné à proprement parler, il n'est pas particulièrement taxé non plus, ce qui lui permet d'avoir les coudées franches économiquement pour proposer des prix cassés, déplorent plusieurs associations écologistes, dont Greenpeace.

Yves Chatton, spécialiste du transport aérien auprès de l'association Transport et environnement, qui soutient l'initiative des Jeunes verts, répond à nos questions.

Yves Chatton, Projektleiter Ecotrip Challenge, spricht waehrend einer Medienkonferenz zum Start der VCS Ecotrip Challenge, am Donnerstag, 22. August 2019, in Bern. Der Verkehrs-Club der Schweiz (VCS)  ...
Yves Chatton.Image: KEYSTONE

A quel point les Suisses polluent-ils en prenant l'avion?

Les Suisses volent beaucoup, c'est un des pays où les citoyens prennent le plus l'avion. Le pouvoir d'achat helvétique en Suisse et à l'international y est pour beaucoup.

«L'aviation représente un quart de l'impact climatique en Suisse, c'est énorme»

Ce chiffre pondéré a, par ailleurs, été confirmé par le Conseil fédéral. Au niveau mondial, l’aviation est à l’origine d’environ 5% de l’impact climatique, mais il faut savoir que la grande majorité de la population mondiale ne vole pas, ou très peu. Pour respecter les limites planétaires, chaque personne ne devrait pas émettre plus de 0,6 tonne d'équivalent-CO2 par an. En Suisse, on est à 5 tonnes - 13 avec les émissions générées à l'étranger. A titre d'exemple, 0,6 tonne d’équivalent-CO2, c'est un vol aller-retour Genève-Lisbonne.

Autant dire que le compte y est vite, si on doit accepter ces limites planétaires, non?
Il faut apprendre à voyager différemment. Par exemple en train ou à vélo. Aller peut-être moins loin mais prendre du plaisir à découvrir d'autres choses, prendre le temps.

«Mais c'est certain: pour respecter les limites planétaires, il faut voyager beaucoup moins en avion»

A cela s’ajoute une question éthique: est-ce normal qu'une si petite partie de la population mondiale prenne tant l'avion pour visiter des pays lointains dont la population est souvent durement touchée par le changement climatique?

Genève-Lisbonne en aller-retour, c'est 3000 kilomètres. Faudrait-il placer une limite annuelle correspondant à cette distance?
Un quota de vol ou de kilomètres serait compliqué à mettre en œuvre. Il serait plus judicieux que le gouvernement et le Parlement définissent un budget carbone compatible avec les objectifs climatiques pour la Suisse. C’est ce que font déjà d'autres pays. C'est d'ailleurs un des points que nous a reprochés la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) dans son verdict de l'année dernière, qui condamnait la Confédération pour inaction climatique. Cela permettrait d'équilibrer et de prioriser nos émissions de gaz à effet de serre entre les différents secteurs, tels que l’aviation, l'agriculture, l'habitat ou l’industrie. On pourrait ensuite définir un plan d’action précis.

On accuse parfois les milieux économiques de ne pas vouloir taxer le secteur aérien, voire de le subventionner. Qu'en pensez-vous?
Je parlerais plutôt de privilèges fiscaux. En premier lieu: le kérosène utilisé par les vols internationaux n'est pas soumis à l'impôt de la Confédération sur les huiles minérales.

«La Confédération peut percevoir une surtaxe sur l’impôt à la consommation prélevé sur les carburants, à l’exception des carburants d’aviation»
Constitution suisse, article 131, alinéa 2a

L'essence que l'on met dans nos voitures est, quant à elle, taxée. Cette différence pour le kérosène représente un manque à gagner de près d'1,5 milliard de francs par années pour les caisses de l’Etat.

«Cette exemption trouve son origine dans la Convention de Chicago qui date de... 1944»

Cette convention, lors de laquelle est d'ailleurs née l'Organisation de l'aviation civile internationale, contient un article interdisant la taxation du kérosène pour les vols internationaux. Par ailleurs, ils ne sont pas soumis à la TVA non plus.

«Ce qui permet aux compagnies aériennes de proposer des prix très bas»

Mettre fin à ces privilèges est compliqué et ce ne sera pas pour demain. Par contre, les pays ont la possibilité d’introduire une taxe sur les billets d’avion. C'est ce que font plusieurs pays européens, comme la France et l’Allemagne. En Suisse, on pourrait aussi le faire dans le cadre d’une loi. La loi CO2 rejetée par le peuple en 2021 proposait notamment une taxe incitative entre 30 et 120 francs par billet.

Ce rejet n'était-il pas le signe que le peuple suisse ne veut pas de ces privations?
Le monde politique a interprété le rejet de la loi CO2 comme un rejet de toutes les mesures. Mais les sondages d'opinion effectués après la votation montrent que les Suisses seraient d’accord de payer plus pour les voyages en avion. Une partie des produits peut d'ailleurs être reversée à la population, sous forme de réduction sur les primes maladie.

«L'introduction d'une telle taxe serait un bon pas vers le principe du pollueur-payeur»

Quelles sont les autres solutions, outre la taxation?
L’Union européenne (UE) et la Suisse ont prévu une obligation d'incorporer du carburant dit «durable» dans les avions dès cette année et dont la proportion est destinée à augmenter. Le chiffre prévu est de 2% en 2025, 6% en 2030 et 70% en 2050. Non seulement ce n’est pas suffisant pour s'aligner avec les objectifs climatiques, mais en plus ces carburants présentent plusieurs problèmes. Ils ne sont disponibles qu’en quantité limitée si on ne veut pas qu’ils entrent en concurrence avec la production alimentaire, par exemple. Quant à ce qu'on appelle les électro-carburants, leur production nécessite une grande quantité d’énergie verte. Est-ce juste d'utiliser autant d'énergie pour décarboner un secteur utilisé par une minorité de la population mondiale?

«La solution prioritaire est de changer nos habitudes et de voler moins souvent, car aucune solution technique ne sera disponible en quantité suffisante ces 20-30 prochaines années»

Les compagnies aériennes ne semblent pas très pressées d'en faire plus...
Ce secteur n'est malheureusement pas du tout transparent et excelle dans le greenwashing. Le lobby qu'il exerce est implacable. Cela peut être surprenant, mais le transport aérien international n'est pas inclus dans l'Accord de Paris sur le climat en 2015 — ni le transport maritime, soit dit en passant.

On a déjà vécu un exemple pratique de réduction drastique du secteur aérien: au printemps 2020, à cause du Covid, le monde entier a quasiment arrêté de voler durant trois mois. Le taux de CO2 dans l'atmosphère avait chuté. Faudrait-il retenter l'exercice chaque année: un ou deux mois d'interdiction générale de vol?
Cette interdiction a été imposée du jour au lendemain. Cela ne peut déboucher que sur des problèmes. Economiquement et socialement, c'était une situation intenable et on ne souhaite pas la revivre. Mais le changement climatique va aussi nous imposer des contraintes drastiques.

«C'est le danger de l'inaction politique»

Mais c'est un fait: actuellement, nos modes de vie sont loin d’être compatibles avec les limites planétaires. Nous avons tout intérêt à les modifier dès maintenant, de manière choisie et planifiée, que de subir des contraintes pour lesquels nous ne sommes pas préparées.

Il a bloqué le Gothard
Video: watson
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