La votation pour l'élargissement des autoroutes entre dans sa phase finale. Si on a énormément parlé de l'A1 en Suisse romande, un autre élément a, toutefois, été quelque peu mis de côté durant la campagne: le trafic d'évitement. Car l'objectif de fluidifier la circulation, tel que présenté par les autorités, est double:
Selon le dernier sondage de gfs.bern, ce sont les «communes intermédiaires» qui sont le plus en faveur de l'élargissement des autoroutes, à près de 56%. Si les villes se positionnent clairement contre (54%), les villages ruraux y sont, eux aussi, opposés (52%). C'est donc peut-être au sein de certaines de ces communes congestionnées que pourrait se jouer la votation de dimanche.
Pour Micaël Tille, ingénieur en génie civil et mandaté par le TCS pour une analyse sur les autoroutes suisses, c’est «au sein de ces villages proches de jonctions d'autoroute qu’on trouve les personnes les plus directement impactées par le trafic d’évitement, qui en souffrent».
Il illustre par exemple la commune de Bussigny, «qui en est l'exemple-type: elle n'est pas en pleine campagne, mais ne fait pas non plus partie du centre de l'agglomération lausannoise».
«Se dire qu’on sort de l’autoroute, car la route cantonale sera moins congestionnée, c’est humain», reconnaît Micaël Tille. Mais il vaudrait, selon lui, mieux rester sur l’autoroute, «où le confort de circulation est meilleur» et quitte à y être embouteillé, que de circuler sur les routes cantonales ou à travers les villages.
«C’est positif pour les riverains, mais aussi pour la sécurité: il y a sept à huit fois moins d’accidents par kilomètre parcouru dans les villages concernés», ajoute l'ingénieur.
Face à cette explication d'une baisse du trafic par l'extension du réseau, une autre veut qu'une extension à trois voies ait un effet pervers: la circulation fluidifiée à court terme serait suivi par un appel d'air des usagers de véhicules à moteur. On parle de «trafic induit». A long terme, la situation initiale de bouchons sera revenue.
Mais il ne s'agit pas d'hypothèses à opposer, rétorque Patrick Rérat, professeur en géographie des mobilités à l'Université de Lausanne, un poil irrité. «Le trafic induit fait partie d'un consensus scientifique. C'est un mécanisme de base des transports et de la mobilité.»
Il déroule: «Cela n'est pas immédiat. Les premières années après l'extension, en effet, le trafic va être soulagé. Mais ces bonnes conditions vont changer les pratiques de mobilité. Elles vont pousser certaines personnes à penduler plus loin plutôt que de déménager, de faire ses courses à tel endroit ou d'avoir ses loisirs à un autre. La mobilité facilitée va favoriser l'utilisation des véhicules, qui va augmenter.»
«Quelques années plus tard, la situation sera à nouveau la même. Les chiffres de l'Ofrou le soutiennent.» Quand exactement? «Difficile à dire, cela peut-être après dix, quinze ou vingt ans. Mais le trafic induit va apparaître, c'est certain.» Patrick Rérat donne une image: «Le trafic, c'est comme un gaz, il s'étend autant qu'il le peut et s'y répartit. Si on lui donne plus d'espace, il le prendra, en utilisant d'autres axes pour éviter les parties congestionnées.»
Comment Patrick Rérat voit-il ces communes intermédiaires, qui seraient en faveur de plus d'autoroutes? «Il s'agit de communes suburbaines ou péri-urbaines proches des villes, qui ont accueilli une forte croissance démographique et où la voiture est dominante.»
Les avis contradictoires du professeur en géographie et de l'ingénieur civil ont des airs de blagues entre techniciens et théoriciens. Micaël Tille répond que, dans la pratique, un exemple d’autoroute à trois voies existe pourtant déjà: il s’agit du tronçon entre Morges et Coppet, où la bande d’arrêt d’urgence est utilisée comme une voie de circulation active aux heures de fort trafic.
«Dans les faits, on y roule déjà à trois voies plusieurs heures par jour, le matin et le soir», explique-t-il. Avec comme résultats: «Le trafic y a en effet un peu augmenté, comme avant la mise en place de cet aménagement, mais il n’y a pas eu de véritable appel d’air». Il ajoute:
Il s'agit pourtant d'une solution temporaire, même si elle est désormais appliquée depuis plusieurs années. Si une autoroute à trois voies devait être appliquée régulièrement ici, devrait-il attirer les usagers du train qui se décideraient à acheter ou prendre la voiture? Patrick Rérat est notamment signataire d'une tribune publiée dans 24 heures début novembre contre l'extension des autoroutes, où l'on peut lire:
Le «transfert modal», c'est le principe selon lequel les usagers changent de mode de transport en fonction de l'offre. Pour Micaël Tille, si le report des conducteurs se fait de la route cantonale vers l’autoroute, il n’y a pas de transfert modal indésirable, soit d’usagers du train qui se sont décidés à prendre la voiture, car ceux-ci avaient déjà leurs habitudes au volant.
D'autant plus que, pour l'ingénieur, une partie importante des gens qui utilisent la voiture ne sont pas une situation où ils peuvent choisir entre le train et la route. «Pour beaucoup, cette décision est liée au trajet à faire vers son travail ou au transport de matériel.
Alors, que faire? «Il faut des mesures d'accompagnement», indique Patrick Rérat. Qu'entend-il par là? «On pourrait interdire de circuler dans des quartiers résidentiels, à l'exception des riverains et des bordiers.»
«Pour l'autoroute, faire passer à vitesse à 100 ou encore 80 km/h lorsque le trafic est important permettrait une gestion des flux sans construction supplémentaire», indique-t-il également. Des mesures appliquées dans de nombreuses villes, à l'instar de Fribourg, et qui divisent parfois la population.