Ce n'est qu'une voie supplémentaire sur six kilomètres d'autoroute, et pourtant, les coûts sont tout sauf modestes: 253 millions de francs. Les frais sont ici ceux de l'autoroute A1 dans la zone du Graulholz, au-dessus de Berne. L'Office fédéral des routes (Ofrou) veut élargir l'autoroute de six à huit voies dans cette zone. La somme réelle devrait être bien plus élevée, car la TVA et le renchérissement des prix depuis 2020 n'ont pas été pris en compte.
En Suisse romande, c'est l'élargissement à trois voies de l'autoroute entre Lausanne et Genève qui est sur toutes les lèvres. Mais chez nos voisin alémaniques, les projets ne manquent pas non plus:
Ces projets ont pour la plupart déjà été approuvés par le Parlement, à l'exception de la route de contournement de Lucerne, qui est en discussion. La Confédération justifie ces aménagements par l'augmentation du trafic. Mais la question est de savoir s'ils sont vraiment nécessaires.
Un coup d'œil sur les dernières données de trafic publiées il y a quelques jours par l'Ofrou montre que le trafic stagne sur les tronçons concernés. Une diminution du nombre de véhicules est même observée. A Berne par exemple, sur le tronçon du Grauholz, qui doit être augmenté, le nombre de véhicules, en 2023, était inférieur à ceux qui circulaient avant le Covid: en 2019 notamment, mais aussi les années précédentes. Il faut remonter jusqu'en 2015 pour voir un nombre de véhicules similaires.
Pareil à Lucerne, ou à Saint-Gall: dans le premier cas, il y avait moins de véhicules en 2023 qu'en 2018 ou 2019, et dans le deuxième, le trafic en 2023 est similaire à celui des année 2014-2017. A Bâle enfin, sur le pont qui mène à la frontière allemande, le trafic le plus élevé des dix dernières années a été enregistrée en 2016.
Dans les dix dernières années, les augmentations sont modestes — à l'exception de Schaffhouse, où le trafic est en hausse de 10%. Sur les autres tronçons, en revanche, il n'a augmenté que d'un pourcentage à un chiffre sur dix ans. C'est peu si on compare à l'augmentation globale de la mobilité au sein de la population.
La crise du Covid ne suffit pas à expliquer ce phénomène. Si la diminution était effective entre 2020 et 2022, l'année dernière, de nouveaux records ont été atteints dans les transports publics.
Pour la gauche, c'en est trop. Au Parlement, le camp politique a demandé l'arrêt des extensions prévues et des milliards engagnés qui vont avec. Pour le conseiller national Michael Töngi, qui siège au comité directeur de l'Association transports et environnement (ATE):
Pour le parlementaire, c'est l'augmentation du télétravail et de l'utilisation des transports publics qui est confirmée, et il faut encourager cette évolution positive. Il cite par exemple de meilleures offres pour faciliter le passage aux transports publics.
L'Ofrou juge la situation différemment. Les routes nationales sont le pilier du trafic automobile, explique le porte-parole de l'office, Thomas Rohrbach. Le problème: malgré une diminution globale du trafic, certains tronçons doivent tout de même être renforcés. Environ 3% de l'ensemble du réseau routier accueille 40% du trafic. Des autoroutes où le trafic est fluide délestent de manière fiable les villes et les villages du «trafic d'évitement». De fait, argumente l'Ofrou, ils «augmentent la sécurité routière et permettent la croissance économique et la prospérité».
Il fait remarquer que le volume de trafic sur les routes nationales a augmenté de plus de 130% depuis 1990. Les tronçons très fréquentés sont régulièrement surchargés. En 2022, le trafic a été bloqué pendant près de 39 900 heures au total, un chiffre jamais atteint auparavant. Si rien n'est fait, en 2040, le trafic sera bloqué sur près de 170 kilomètres de routes nationales pendant deux à quatre heures par jour.
La question de savoir si l'extension des voies résoudra durablement le problème de la circulation est toutefois controversée. Lorsque le trafic sur une autoroute est plus fluide, cela fait en sorte que davantage de personnes l'utilisent, un phénomène appelé «trafic induit». Mais une meilleure offre génère ensuite une nouvelle demande — le phénomène est valable pour tous les moyens de transport.
A l'image du «Nordring» de Zurich, cet important tronçon d'autoroute au nord de la zone urbaine zurichoise, un des plus fréquentés en Suisse alémanique. Il a été élargi à six voies en 2017 et en conséquence, le nombre de véhicules a augmenté de 15% en cinq ans.
Thomas Rohrbach voit les choses autrement: pour lui, une circulation fluide sur les autoroutes entraîne moins de trafic d'évitement et donc moins de trafic sur les routes communales et cantonales. C'est ce qui s'est passé avec le Nordring: si le trafic a bel et bien augmenté sur l'autoroute, il a permis de soulager toutes les plus petites routes alentour. Et ce d'environ 20%.
Le nombre de véhicules a également baissé sur la bretelle d'accès à l'autoroute de l'ouest vers la ville, ce qui indique que moins d'automobilistes choisissent de faire le détour par la ville. Pour l'Ofrou, si l'augmentation de l'utilisation du Nordring est une réalité, il permet donc de réduire le trafic dans les routes nationales, cantonales, et à l'intérieur de la ville.
Le parlementaire vert Michael Töngi n'est pas de cet avis. Il fait référence à un rapport du canton de Lucerne datant de 2021. Les spécialistes y concluent que les nouvelles jonctions autoroutières autour de la ville ont augmenté l'attractivité de la voiture et détérioré celle des transports publics. Par effet boule de neige, l'augmentation du trafic a amené à des retards de bus, ce qui a encore réduit leur attractivité.
Une alliance d'associations environnementales, y compris l'ATE, a lancé avec succès un référendum contre les extensions autoroutières décidées l'an dernier par le Parlement et citées précédemment. Les électeurs cantonaux alémaniques pourront décider cette année à qui ils accordent leur confiance sur la question des autoroutes.