Il y a de plus en plus de monde dans nos villes. La population des principaux centres urbains suisses ne cesse de croître, au point qu'aujourd'hui, trois quarts des habitants de notre pays résident dans l'espace urbain, contre un tiers il y a cent ans. Il suffit de chercher un appartement au centre-ville pour s'en rendre compte.
L'augmentation des populations urbaines a été fulgurante. A Genève, par exemple, on est passé de quelque 187 000 habitants en 2010 à plus de 206 000 en 2023 - soit une hausse de 10%. Pourtant, il y a un groupe qui suit la tendance opposée: les Suisses. Leur nombre diminue constamment depuis 2019 et, l'année dernière, on comptait plus d'étrangers que d'Helvètes résidant dans la cité de Calvin. Une première.
Cette situation ne concerne pas uniquement Genève. Plusieurs autres grandes villes affichent le même scénario: la population de nationalité suisse y stagne depuis des années, ou a commencé à diminuer. C'est le cas à Bâle, où cette tendance est en cours depuis 2020, ou à Saint-Gall et Lugano, qui sont confrontées au phénomène depuis 2021. Une baisse a également été enregistrée à Lucerne à partir de l'année dernière.
Seules exceptions notables: Lausanne, Zurich et Winterthour, où le nombre de Suisses a explosé au cours de ces dix dernières années, suivant ainsi la tendance au niveau national, qui a vu la population de nationalité helvétique bondir de 7% entre 2010 et 2023.
Que se passe-t-il? Les Suisses sont-ils en train de fuir les villes du pays? «On assiste à deux flux contraires», explique Mathias Lerch, directeur du laboratoire de démographie urbaine de l’EPFL.
Les premiers sont attirés par le travail, alors que les deuxièmes cherchent des logements abordables. «Les loyers trop chers sont la raison principale qui pousse les Suisses à quitter les centres-villes», poursuit le chercheur. «Même le Suisse moyen n'a plus la capacité de se payer un logement suffisamment grand pour accueillir une famille dans ces zones».
«A cela peut s'ajouter la volonté d'avoir un environnement davantage naturel et de bénéficier de plus d'espace», complète-t-il. «Lorsque l'on veut former une famille, on cherche un logement plus grand et plus abordable, à l'extérieur des centres-villes.»
Les étrangers qui arrivent en Suisse, en revanche, n'ont pas les mêmes besoins. «Ils ont les moyens de se payer un appartement en pleine ville et, souvent, n'ont pas d'enfants», complète Mathias Lerch.
L'afflux de travailleurs étrangers n'est pas une nouveauté, mais sa nature a changé au fil du temps. Au début, la plupart d'entre eux étaient peu qualifiés. «Ils travaillaient dans le tourisme, dans l'industrie, dans l'agriculture et, pour cette raison, ils se répartissaient de manière relativement homogène sur l'ensemble du territoire national», explique Mathias Lerch. «Ils étaient moins concentrés dans les villes».
A partir des années 1990, les choses changent. Leur niveau de formation augmente, ce qui se répercute sur leur répartition spatiale. «La majorité des migrants sont désormais hautement qualifiés. Ils travaillent dans le domaine du savoir et leurs emplois sont concentrés dans les principaux centres urbains du pays», indique Mathias Lerch.
Le phénomène n'est pas nouveau, mais s'est accru à partir des années 2000. «Depuis cette période, l'immigration internationale accrue compense totalement le vide laissé par les Suisses dans les centres-villes», estime le chercheur.
En moyenne, la moitié de ces migrants rentre après une période de cinq à dix ans, poursuit-il. «Ceux qui restent plus longtemps adoptent le même comportement que les Suisses: ils fondent une famille et s'éloignent du centre pour des raisons similaires».
Si le départ des Suisses des centres-villes est bien réel, parler d'exode rural serait exagéré, estime Mathias Lerch. «Il s'agit d'un mouvement vers la périphérie des agglomérations urbaines, pas vers les campagnes ou des zones montagnardes», argumente-t-il.
On peut finalement se demander si la pandémie a accéléré ce processus d'étalement urbain. «Plusieurs études sont en cours pour le déterminer», note Mathias Lerch. «D'après mes recherches, portant sur la ville de Zurich, ce n'est pas le cas».