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La patronne de la CSS explique pourquoi les primes explosent

La boss de la plus grande caisse maladie de Suisse justifie les primes

Philomena Colatrella dirige la CSS et ses 2800 collaborateurs.
Philomena Colatrella dirige la CSS et ses 2800 collaborateurs.Image: ch media
Philomena Colatrella dirige la CSS et ses 2800 collaborateurs. Lors de notre rencontre, elle a évoqué les coûts élevés des lipolyses, les nouveaux modèles pour une meilleure prise en charge – et la situation financière de la plus grande caisse maladie de Suisse, basée à Lucerne.
12.01.2025, 18:50
Anna Wanner / ch media
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La CSS a connu une année 2024 mouvementée. Tout en fêtant ses 125 ans, le plus grand assureur du pays a dû annoncer une hausse relativement importante des primes. En cause: des réserves trop faibles. Philomena Colatrella, la directrice de la caisse, reste toutefois pleine d'optimisme.

Madame Colatrella, les primes ont fortement augmenté depuis trois ans...
Philomena Colatrella: Oui, et davantage encore depuis la pandémie.

Pourquoi ça?
Il y a eu de gros effets de rattrapage après le Covid. A cela s'est ajoutée une diminution des réserves ordonnée par les politiques.

«De plus, 2022 a été une mauvaise année sur les marchés financiers. Cela a aussi impacté négativement nos réserves»

Et enfin, oui, nous voyons que depuis la fin de la pandémie, les coûts de la santé augmentent encore plus qu'avant, sans interruption - jusqu'à la semaine dernière!

La semaine dernière?
Je suis l'évolution des coûts chaque semaine. Et oui, ils augmentent sans cesse.

Que révèlent les chiffres?
Des visites médicales plus fréquentes, une croissance considérable des coûts dans le domaine des maladies psychiques, des soins et de l'ambulatoire. Mais ce qui coûte le plus cher, c'est l'innovation.

L'innovation?
Sur les dix dernières années, les nouvelles technologies représentent un tiers de la hausse des coûts. Elles comprennent les nouveaux médicaments et les nouvelles thérapies.

«Ils jouent un rôle primordial, car ils sauvent ou prolongent des vies. Mais nous devons freiner cette tendance en revoyant les modèles de prix»

Le Parlement se penche actuellement sur cette question et discute notamment de modèles de rabais. Nous devons toutefois aussi définir quelles prestations sont destinées à la santé et quelles prestations sont destinées au bien-être, et comment nous voulons gérer cela.

Vous pensez aux lipolyses par injection?
Par exemple. Les dépenses pour ces produits augmentent beaucoup. La CSS a budgété 50 millions de francs pour cette année rien que pour le Wegovy. Chez nous et, par moments, plus de 35% des demandes concernaient ce produit. Nous constatons certes des résultats fantastiques chez les personnes obèses qui ont auparavant suivi des régimes pendant des années. Désormais, elles peuvent contrôler leur poids avec des injections, et bientôt avec des comprimés. Mais on ignore encore l'effet de ces traitements sur la santé, à long terme.

La société doit-elle financer ça de manière solidaire?
Je n'ai pas encore d'opinion définitive. Il faudrait vraiment qu'on observer des effets positifs dans le temps.

Les hôpitaux facturent parfois des prix hallucinants pour les implants. Comment les assurances maladie peuvent contrôler ça?
Nous avons effectivement connaissance de cas où les prix facturés semblent systématiquement surévalués. Nous les élucidons un par un, ce qui est très laborieux. Cela consiste à demander le bon de livraison pour chaque poste facturé et comparer ces coûts avec ceux qui nous ont été transmis.

Estimez-vous que les primes continueront à augmenter de 6, 7 ou 8% par an?
Je ne l'espère pas. Mais nous devons débattre de l'accès, de la qualité et de l'innovation, tout en considérant les conséquences financières.

«Il faut maintenant mettre en œuvre les réformes pour lesquelles on a opté. Et préparer les suivantes»

Est-ce que les patients doivent participer plus directement aux coûts?
Des mesures comme une petite taxe pour les urgences n'apportent pas grand-chose. Il vaudrait mieux inciter les gens à agir en amont, dans une logique de prévention.

Comment les caisses d'assurance maladie peuvent y parvenir?
Par exemple avec des actions concrètes qui améliorent les comportements avant l'arrivée de la maladie.

C'est-à-dire? Par le biais d'applications?
Oui, mais pas seulement. Notre application Active 365 remporte un franc succès – bien que nous ne sachions rien de l'état de santé des utilisateurs. Néanmoins, les fonctionnalités que nous proposons sont bien accueillies. Lorsque nous avons introduit les 10 000 pas sur l'application il y a dix ans, cela a immédiatement fonctionné. Nous offrons en outre plus de 20 prestations de santé. Nos coachs sur le sommeil, l'alimentation ou la santé psychique sont très demandés.

Sont-ils remboursés par l'assurance complémentaire?
Non, ce sont des prestations disponibles gratuitement. Nous constatons beaucoup de sollicitations pour du conseil, de même que pour les deuxièmes avis avant une opération. Beaucoup de gens appellent parce qu'ils ne savent pas s'ils doivent subir une intervention.

«La moitié de ceux qui souhaitent un deuxième avis finissent par renoncer»

Pouvez-vous dire combien de vos clients ont «migré» vers une autre caisse pour cette année?
Comme prévu, nous avons perdu des assurés. Mais «le grand exode» que prédisaient certains n'a pas eu lieu. Nous remarquons que notre image de marque est solide et que nos clients sont fidèles.

La CSS a dû augmenter les primes parce qu'elle ne remplit pas les exigences légales en matière de réserves.
Ces réserves légales sont conçues justement pour les situations exceptionnelles de pandémie. Avec ce dont nous disposons, nous pourrions faire face à plusieurs pandémies s'il le fallait. Je doute donc que des niveaux temporairement inférieurs posent problème. La réduction des réserves insufflée par la classe politique, sous la houlette du conseiller fédéral Alain Berset, voilà ce qui m'agace. On a déjà vu par le passé qu'un tel abaissement menait à des effets de rattrapage brutaux.

Diriez-vous que votre caisse est en danger?
La CSS se porte bien, elle s'appuie sur des fondations solides. Il faut plutôt y voir un peu de tapage médiatique.

Un tapage injustifié?
Pour la question des réserves, qui concerne de nombreux assureurs, cela s'explique. Pendant le Covid, nous avons réalisé quatre fusions à la CSS et nous avons ainsi encore gagné des clients. C'est une grande performance. Aujourd'hui, tout cela se lisse.

«On omet de dire qu'il y a quatre ans, nos réserves atteignaient 244%»

Pourquoi sont-elles alors retombées à 84%?
A cause des quatre éléments cités: l'injonction à la réduction, les fusions, la situation tendue sur les marchés financiers et la hausse des coûts de la santé. Ce qu'il faut souligner, c'est que les mesures prises nous permettront bientôt d'atteindre à nouveau les objectifs. Nous savions que 2024 serait une année de rattrapage. Les signes avant-coureurs pour la suite vont déjà dans la bonne direction.

Resterez-vous la plus grande caisse maladie de Suisse?
Je pars du principe que nous pourrons défendre notre position de leader sur le marché.

Vous empruntez de nouvelles voies avec l'Ensemble Hôspitalier de la Côte (EHC), dans le canton de Vaud. Les cas complexes y seront suivis de près, pour tenter de réduire les coûts. Ce modèle fonctionne-t-il?
La force de ce réseau réside dans une prise en charge complète des soins complets et une approche globale. Une meilleure coordination permet d'éviter les examens superflus et d'améliorer la qualité des soins, diminuant ainsi les coûts à long terme. Le modèle se veut «bottom-up» et il a été développé collectivement.

«Nous recherchons des structures régionales de ce type et leur proposons une collaboration. C'est l'avenir»

C'est surtout là où il y a une nécessité extérieure, comme un manque de médecins de famille, que les acteurs se regroupent. Une «réglementation top-down», à l'image de celle actuellement discutée au Parlement avec l'article sur les réseaux, constituerait à l'inverse un frein aux soins intégrés.

Pourquoi?
Ces clusters de soins ne fonctionnent que si les acteurs impliqués veulent réellement collaborer parce qu'ils le doivent. Si nous parvenons à piloter et à améliorer les choses grâce à de tels modèles, cela soulagera les patients - et le porte-monnaie. Cela intéresse aussi les hôpitaux et les médecins. La preuve: ils nous contactent et souhaitent coopérer.

Qu'est-ce que cela signifie pour moi en tant qu'assuré? Est-ce que je ne pourrai plus me faire soigner qu'au sein de ce réseau?
Oui, le réseau s'y engage. Si vous ne le souhaitez plus, on vous retire. Il faut toutefois que les informations puissent s'échanger facilement. L'EHC a développé à cet effet son propre dossier électronique du patient. Un tel dossier devrait aussi enfin être instauré au niveau national.

«C'est essentiel pour nos clients, mais aussi pour le pôle de recherche suisse»

La population a approuvé la plus grande réforme de la santé depuis 30 ans, les cantons mettront davantage la main au porte-monnaie. Pouvez-vous maintenant vous reposer sur vos lauriers?
Non, au contraire. Nous devons prouver que nous pouvons organiser les soins de santé plus efficacement. Le financement uniforme améliore notre situation de départ, j'ai longtemps milité pour et me suis réjouie de l'approbation de la réforme.

Comment y parviendra-t-on?
Le financement uniforme reste le principal levier pour faire avancer les soins coordonnés, pour casser les silos et soigner les patients le plus efficacement possible sur la base de leurs besoins. Tous les acteurs de la santé doivent maintenant assumer leurs responsabilités.

Qu'est-ce que cela signifie concrètement?
Les hôpitaux et les médecins - ainsi que les assureurs-maladie - doivent s'accorder sur un transfert du secteur stationnaire vers l'ambulatoire. Cela nécessite de nouvelles structures.

«Les traitements doivent avoir lieu en dehors des établissements hospitaliers. Là, ce sont surtout les hôpitaux qui sont sollicités»

Est-ce réaliste? De nombreux hôpitaux ne sont pas orientés vers la fourniture de prestations ambulatoires. Comment faire coïncider les deux?
C'est notamment la tâche des cantons de montrer la voie: il faut se doter d'une stratégie de transformation de la planification hospitalière. La part des traitements ambulatoires pourrait ainsi devenir à l'avenir l'un des critères d'attribution des mandats de prestations cantonaux. En outre, les cantons pourraient élargir la liste des prestations à fournir en ambulatoire plutôt qu'en stationnaire.

Les structures hospitalières se sont également engagées dans une certaine direction pour plusieurs années, en raison d'investissements gigantesques. Est-ce qu'on raisonne à deux, cinq ou dix ans?
Réorienter les soins, cela prendra certainement davantage de temps. Aujourd'hui, de très nombreux hôpitaux vont dans le même sens. Le problème est structurel. La question reste désormais de savoir ce qui est encore nécessaire. Que peut-on externaliser en ambulatoire?

Quel rôle jouent les caisses maladie dans tout cela?
Nous pouvons inciter à ce que les traitements soient effectués en premier lieu en ambulatoire grâce à de nouveaux modèles d'assurance.

Comment cela marche-t-il concrètement?
Grâce au financement uniforme, nous pouvons signaler aux assurés que c'est la prestation ambulatoire qui prime.

«Dans ce contexte, nous espérons également une modification de la loi en matière de protection des données afin de pouvoir recommander certains traitements lorsqu'il existe une thérapie moins chère et tout aussi efficace»

Pour cela, il nous faut trouver des solutions avec les fournisseurs de prestations.

Cela signifie-t-il qu'il faut à nouveau réviser les tarifs pour inciter aux traitements ambulatoires?
La nouvelle convention tarifaire Tardoc va dans la bonne direction. Elle reflète convenablement les prestations médicales. Pour les soins intégrés, nous devons définir des structures tarifaires innovantes afin d'enclencher le mouvement vers l'ambulatoire. Cela passe par des incitations supplémentaires.

Mais les assurances complémentaires constituent un obstacle: tant que les hôpitaux gagnent plus en stationnaire avec les patients privés, ils n'ont guère de raison d'opter pour de l'ambulatoire.
Au cours des quatre dernières années, nous avons véritablement orienté les produits de l'assurance complémentaire vers des prestations supplémentaires. Sur l'hôtellerie, le libre choix du médecin, des délais plus courts. Cela a permis de contrer les mauvaises incitations. Du point de vue des assureurs, je vois aussi dans le passage à l'ambulatoire un potentiel pour de nouveaux produits.

Depuis des années, les caisses maladie s'efforcent de vendre des produits ambulatoires dans l'assurance complémentaire. Sans parvenir à convaincre.
Parce qu'on les a toujours considérés comme des prestations de l'assurance de base. En en transférant une partie du stationnaire vers l'ambulatoire, nous ouvrons le champ des possibles: salles de repos, délais d'attente réduits ou choix du praticien.

Toutes les prestations aujourd'hui financées par l'assurance de base restent-elles donc indispensables?
C'est une question qui fâche. Nous devrions pourtant repenser le catalogue et mieux le gérer. Tous les traitements ne répondent plus, et de loin, aux critères légaux d'efficacité, d'adéquation et d'économicité. Nous devons laisser la place aux innovations.

(Traduit de l'allemand par Valentine Zenker)

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