Voici combien de temps dure réellement la perpétuité en Suisse
Il y a dix ans, aux alentours de Noël, Thomas N. avait assassiné une famille à Rupperswil, dans le canton d'Argovie. Après une longue traque, la police l’avait arrêté en mai 2016. Depuis, il est en prison et attend l’année 2031. C’est là que les autorités pourront examiner pour la première fois la possibilité d'une éventuelle libération.
Pour son crime d’une gravité exceptionnelle, il a écopé de la peine maximale, soit la réclusion à perpétuité. Mais après 15 ans, les autorités vérifient habituellement si un auteur reste dangereux. Dans le cas contraire, elles prolongent la peine sous condition. Dans des circonstances particulières, par exemple en cas de maladie mortelle, une libération est possible après dix ans de peine.
Le quadruple meurtrier de Rupperswil a-t-il fait un premier pas vers la liberté? Sur ordre de la justice argovienne, les autorités sont amenées à examiner l'opportunité d’une thérapie. Le ministère public s’y oppose devant le Tribunal fédéral. Il craint que des succès thérapeutiques à venir ne concluent à une absence illusoire de dangerosité du meurtrier. La question controversée est celle du lien entre son trouble et son acte.
En prison, Thomas N. se comporte de manière exemplaire. Lui-même plaide pour sa sortie de prison, on s'en doute. Le fait que la justice argovienne ait par ailleurs ordonné une mesure d’internement en milieu médical ne joue ici aucun rôle. En effet, la règle est la même: celui qui n’est plus considéré comme dangereux peut sortir. Or l’affaire fait débat.
Combien de temps dure la perpétuité?
Dans une analyse spéciale réalisée pour la Schweiz am Wochenende, l’Office fédéral de la statistique a déterminé combien d’années, en moyenne, les personnes condamnées à la réclusion à perpétuité passaient en détention. Entre 1985 et 1994, cette durée ne s'élevait qu'à 11 ans. Par la suite, la durée de la détention s’est allongée de décennie en décennie. Entre 2015 et 2024, il s’est écoulé en moyenne 17 ans avant une libération.
Les données montrent que l’exécution des peines devient plus sévère, ce qui tend à réfuter l'argument d'une justice «laxiste».
Les statistiques montrent toutefois que la plupart des criminels sont libérés relativement tôt. Le niveau médian des peines se situe même quelques mois en dessous de la durée moyenne, la statistique ne prenant pas en compte la détention provisoire et la détention de sûreté.
Les criminels libérés plus tard
Les autorités d’exécution des peines sont devenues plus prudentes dans l’évaluation des risques de récidive, et maintiennent donc les condamnés plus longtemps en détention.
Dans la période qui a suivi 1968, la conviction que les crimes graves pouvaient avant tout s’expliquer par les conditions sociales prévalait. En règle générale, les criminels étaient libérés dès que possible. Le meurtre du Zollikerberg, en 1993 – un assassin violeur avait tué un scout alors qu'il bénéficiait d'une permission de sortie – avait conduit à un changement de perspective. Les risques de récidives passèrent alors au premier plan, ce qui conduisit à durcir la doctrine judiciaire.
Une libération après quinze ans est-elle judicieuse?
Une libération après quinze ans de prison est-elle judicieuse? Non. Le Parlement fédéral a donc décidé de porter le délai à 17 ans. La distinction avec une peine privative de liberté de 20 ans, pour laquelle il est possible de libérer un condamné après 13 ans de peine, devient ainsi plus claire.
Il n’est pas encore établi si la nouvelle réglementation doit aussi s’appliquer aux personnes déjà incarcérées, c’est pourquoi celle-ci n’est pas encore entrée en vigueur. Comme le montre la nouvelle statistique, des normes plus strictes se font toutefois déjà sentir dans la pratique.
Pour durcir encore plus l'excuction des peines?
L’expert en exécution des peines Benjamin Brägger qualifie cette révision parlementaire de «timorée».
L'expert propose un durcissement suivant le modèle allemand. En Allemagne, les tribunaux peuvent, en cas de crimes particulièrement graves, fixer dès le jugement que la libération ne sera pas examinée après 15 ans de détention. Benjamin Brägger demande:
Selon lui, il n'est pas acceptable que quelqu’un qui tue de manière aussi grave puisse théoriquement sortir de prison après 15 ou 17 ans et ne croit pas à la rémission durant ce laps de temps.
C'est la procureure Barbara Loppacher qui a inculpé Thomas N. en 2018 et requis un internement à vie. Elle voulait s’assurer que l’auteur ne soit jamais libéré. Elle a défendu cette position jusqu'à aujourd'hui. Des examens réguliers font certes partie de la procédure de l’Etat de droit. Mais Barbara Loppacher affirme:
Veut-on vraiment d'un régime plus sévère?
Les crimes graves comme le cas de Rupperswil sont très rares en Suisse. Une fois que les meurtriers ne sont plus jugés dangereux, il finissent par être libérés. Des peines de prison plus longues n’en feront pas de meilleures personnes. Mais des principes relevant des droits humains empêchent de les enfermer pour toujours.
Il est donc légitime de se demander s’il faut durcir le système en raison de quelques cas extrêmes. Dans des affaires qui, comme pour Rupperswil, se trouvent au centre de l’attention publique, les autorités opteront de toute façon, en cas de doute, pour la sécurité.
Traduit de l'allemand par Joel Espi
