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psychologie

Blatten: «certains habitants vont plonger dans la dépression»

La catastrophe de Gondo (VS) a fait 13 morts en octobre 2000. Médaillon: Rahel Bachem.
La catastrophe de Gondo (VS) a fait 13 morts en octobre 2000. Médaillon: Rahel Bachem.image: keystone

«Certains habitants de Blatten vont plonger dans la dépression»

Les gens traversent la vie avec une saine naïveté, affirme Rahel Bachem, psychologue spécialisée dans les traumatismes. Mais quand un drame comme celui de Blatten ou de Gondo survient, tout bascule.
04.06.2025, 16:5904.06.2025, 18:57
Sabine Kuster / ch media
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Que représente un foyer pour un individu?
Rahel Bachem: Le foyer, le domicile est l'endroit où l'on peut se retirer et se sentir en sécurité. On s'y détend, on s'y ressource. On y a le contrôle, contrairement au monde extérieur, où les facteurs d'insécurité sont nombreux. C'est ce qu'ont montré mes recherches sur les personnes qui ont été cambriolées.

Un cambriolage est inattendu, alors que l'éboulement de Blatten, lui, avait été annoncé comme possible. Les habitants avaient été évacués. Cela fait-il une différence?
L'importance que revêt le domicile reste la même. Et dans le cas de la catastrophe de Blatten, il faut ajouter que ce ne sont pas seulement quelques objets de valeur qui ont disparu, mais tout, la maison entière, avec de nombreux objets à valeur émotionnelle. De plus, dans les régions rurales, une maison est souvent transmise de génération en génération.

«La grand-mère et la mère y ont peut-être déjà grandi. On perd alors une partie du sentiment de sécurité, mais aussi une partie de sa propre identité»

Déménager, quitter sa maison et s'enraciner ailleurs, beaucoup le font. Qu'est-ce qui est différent dans une telle situation?
On ne déménage pas du jour au lendemain. Même ceux qui déménagent volontairement passent par un processus de détachement. On pèse le pour et le contre, on décide soi-même et on emporte avec soi beaucoup de choses qui nous sont chères. Avec cet éboulement, ce processus de détachement ne peut pas avoir lieu, et les personnes concernées vivent un vrai deuil. La situation n'est pas de leur ressort, elles ont totalement perdu le contrôle.​

Y a-t-il d'autres sentiments que celui de la perte de contrôle?
Oui, de telles expériences changent la façon dont on voit le monde. En règle générale, nous, les êtres humains, traversons la vie avec une certaine naïveté, ce qui est une bonne chose. Lorsque nous quittons la maison, nous partons du principe qu'il ne nous arrivera rien, même si tout changement comporte des risques. Et puis, on se dit que le malheur n'arrive qu'aux autres.​

«Si nous pensions que le malheur peut s'emparer de nous à tout moment, nous serions des boules d'angoisse et nous n'oserions plus rien faire»

Et dans la cas contraire?
Si le pire se produit malgré tout, la confiance que nous avons dans la vie en prend un coup, voire un très gros coup. La perte de son foyer sous un éboulement comme à Blatten ne remet pas en cause la confiance que nous avons dans les gens, mais dans la sécurité, au sens large du terme.

On ne peut donc pas se rassurer en se disant que c'était un événement isolé et que la vie d'avant n'était pas moins difficile?
Certains le peuvent, d'autres pas. Il y a des gens qui peuvent se dire «c'était un hasard, il ne m'arrivera plus rien de si tôt». D'autres n'y parviennent pas. Ce qui joue un rôle, c'est tout ce qu'une personne a vécu auparavant, si elle a déjà fait face à des traumatismes. Certains ont les ressources pour rebondir, pour d'autres, la survenue d'un malheur ne fait que confirmer qu'ils ne sont pas en sécurité dans la vie.

«A cela s'ajoute le stress financier, car les assurances ne paient jamais tout. Cela rend vulnérable»

Quelle attitude peut aider face aux malheurs de l'existence?
La vie comporte à la fois du positif et du négatif. Il est important de se dire que l'un et l'autre vous arrive dans l'existence. Cela aide à surmonter les drames. Le négatif n'éclipse pas tout. Les personnes touchées par la catastrophe de Blatten sont encore en état de choc, l'éboulement ne semble pas encore réel chez tous. Il est normal de passer par quantité de sentiments négatifs après cela. La colère, la peur, la tristesse, ou même un sentiment de culpabilité. C'est ce qu'on éprouve durant la phase aiguë du traumatisme.

«Ce n'est qu'après des semaines ou des mois que l'on voit qui parvient à passer à autre chose et qui, à l'inverse, plonge dans la dépression ou le trouble anxieux»

Le fait de vivre un drame en communauté peut-il être un facteur protecteur?
Oui, le sentiment d'appartenance peut être un facteur protecteur. Le soutien social est de toute façon toujours le facteur le plus important lors d'événements aussi traumatisants. Il existe aussi des processus communs, comme l'a montré une recherche menée après l'éboulement de Gondo en 2000. On a constaté d'une part des difficultés psychiques, mais d'autre part aussi une croissance post-traumatique.​

Que signifie «croissance post-traumatique»?
Cela signifie qu'en raison d'un événement très stressant, qui ébranle la confiance de base, on grandit intérieurement dans certains domaines. Les gens deviennent même plus forts qu'avant l'événement dramatique. Cela peut par exemple se produire dans le domaine des relations humaines, lorsque l'on se rend compte de leur importance. Ce sur quoi on met l'accent dans la vie peut également être déplacé, dès lors qu'on prend conscience de certaines forces qu'on ne soupçonnait pas en soi et qui nous ont permis de faire face au pire.​

Vous étudiez également la manière dont les traumatismes sont vécus selon les cultures. Qu'avez-vous découvert sur la Suisse?
Nous avons vu qu'en Suisse en particulier, un indicateur de croissance post-traumatique se manifeste par un lien accru avec la nature, justement. Le fait que l'on puisse soudain percevoir les phénomènes naturels de manière beaucoup plus intense, une goutte de pluie sur une feuille par exemple, ou les rayons du soleil à travers les arbres. Cela signifie que l'on voit au-delà de soi-même, et que l'on fait l'expérience d'être connecté à notre environnement.

«Cette forme de rapport émotionnel à la terre, de connexion spirituelle, peut avoir un effet très stabilisateur, notamment après des expériences traumatisantes»

Traduit de l'allemand par Joel Espi

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