Le numerus clausus, charnier d'espoirs et de rêves. Selon le portail spécialisé Medinside, près de 4000 jeunes se sont inscrits à un examen d'entrée cette année en Suisse. Seuls 1145 ont été admis aux études de médecine. Près des trois quarts ont échoué. Tous ont pourtant une maturité en poche.
Depuis des années, près des deux tiers des candidats ratent le test d'admission. Dans les universités de Genève, Lausanne et Neuchâtel, il est possible de commencer sans test préalable, mais le tri s'effectue à la fin de la première année. Là encore cependant, ce ne sont pas les seuls résultats qui déterminent la poursuite des études, mais le nombre de places d'études et de stages. Un numerus clausus indirect.
Pendant ce temps, la Suisse manque de docteurs. Environ 40% d'entre eux viennent de l'étranger. L'année dernière, l'autorité compétente de la Confédération a reconnu les diplômes étrangers de 3364 personnes. En 2022, ce chiffre atteignait 3053 – il affiche une hausse constante. La Suisse forme elle-même près de 1200 médecins par an.
La classe politique a reconnu le problème depuis longtemps. Mais les nouvelles places de formation dans les universités et les hôpitaux sont chères. Confédération et cantons se renvoient la responsabilité depuis plus d'une décennie. Les places sont créées au compte-goutte, bien en deçà des besoins.
Face à cette situation, de plus en plus de jeunes Suisses prennent les devants: ils émigrent pour réaliser leur rêve et s'en vont étudier ailleurs en Europe. Leur mobilité est rendue possible par la libre circulation des personnes - ainsi que par des cursus en anglais, français et allemand dans les universités de nombreux pays de l'Est. Le tout sans numerus clausus.
La demande existe, cela ne fait nul doute. Sur internet, des entreprises proposent des conseils pour faire médecine, «sans numerus clausus et sans délai d'attente», promet par exemple l'entreprise allemande MediStart. Sur son site, elle s'adresse aux personnes intéressées en Allemagne, en Autriche et en Suisse, et propose une liste d'universités allant de la Bulgarie à la Lettonie. On trouve des offres comparables sur des sites français.
La ville roumaine de Cluj-Napoca est devenue incontournable en la matière. L'université Iuliu Hațieganu ouvre chaque année 200 places en anglais et en français. Nombre d'entre elles sont occupées par des étudiants venus de Suisse.
Ils sont au final 24 à s'être effectivement présenté à la rentrée au cours des dernières semaines. Ils rejoignent 98 compatriotes déjà présents dans les semestres supérieurs.
Rien qu'à l'université de Cluj-Napoca, on recense donc 122 Helvètes au total. La tendance enregistre une hausse depuis des années. En 2018, lorsque 20 Minuten a évoqué le sujet pour la première fois, il y avait 49 inscrits. L'année dernière, la RTS parlait dans un reportage de 111 Suisses à Iuliu Hațieganu.
Leur nombre augmente également dans d'autres universités d'Europe de l'Est. Par exemple à celle de Semmelweis en Hongrie, où 21 Suisses suivent actuellement le cursus germanophone. Ces dernières années, ils étaient entre dix et quinze, indique le service de presse. Un exemple choisi au hasard, parmi plus d'une douzaine d'établissements qui enseignent en allemand, en anglais et en français.
On ne dispose pas de chiffres officiels sur les étudiants en médecine hors des frontières. L'Office fédéral de la santé publique indique simplement avoir reconnu une centaine de diplômes de base obtenus dans un pays membre de l'UE par des étudiants de nationalité suisse en 2023. Les années précédentes, le nombre de ces reconnaissances oscillait entre 56 et 90. Elles devraient encore se multiplier dans les années à venir.
Une partie des étudiants émigrés se sont organisés au sein de la Global Swiss Medical Student Association. Plus d'une douzaine d'entre eux ont participé à un sondage de CH Media (dont watson fait partie). Ils souhaitent toutefois conserver l'anonymat.
Plusieurs confirment avoir quitté la Suisse à cause du numerus clausus ou parce qu'ils ont été recalés après la première année. «Il me manquait deux points dans un module, j'ai réussi l'autre», constate amèrement quelqu'un, «la Roumanie était donc ma seule option». D'autres ont immédiatement choisi cette voie, pour «éviter de perdre deux, voire trois ans de ma vie à cause d'une simple sélection».
Pour l'une des personnes sondées, cela permet aussi d'échapper à la pression de la procédure d'élimination en première année:
Les coûts de la formation à l'étranger restent cependant élevés. A Cluj-Napoca, il faut compter 8500 euros d'inscription par an, dont une partie est remboursée sous forme de bourse en cas de résultats particulièrement bons, précise l'institution. L'université Semmelweis est plus chère: comptez 8700 euros par semestre. Dans les universités suisses, les frais semestriels oscillent entre 600 et 1100 francs.
Est-ce que cela revient à dire que l'on peut acheter son diplôme? L'université Iuliu Hațieganu a des exigences strictes, fait savoir son service de presse:
Il y a par ailleurs plus d'appelés que d'élus: pour être accepté, il faut là aussi braver les écueils d'une sélection.
Les étudiants eux-mêmes sont satisfaits de leur formation: «Le cursus est très orienté vers la pratique dès la première année, et à partir de la troisième, nous travaillons régulièrement avec les patients». Par rapport à la Suisse, on met moins l'accent sur la théorie, «mais nous sommes très bien préparés à notre métier». Selon le conseiller national valaisan du Centre Benjamin Roduit, cette analyse rejoint les expériences de docteurs en Suisse:
Le Romand préside le groupe d'amitié parlementaire avec la Roumanie. Lors d'un voyage à Bucarest au début de l'été, il s'est penché en détail sur la question. Il constate que «les Helvètes sont accueillis à bras ouverts». Non seulement parce qu'ils paient des frais de scolarité très élevés, mais aussi parce qu'à leur retour à la maison, ils servent en quelque sorte d'ambassadeurs pour le système de formation roumain.
La crainte de certains universitaires de devoir valider des équivalences par la suite ou d'échouer dans leur formation postgrade de spécialiste semble donc infondée. Un médecin assistant passé par ces différentes étapes confirme:
Berne reconnaît les diplômes des pays de l'UE sur la base de l'accord sur la libre circulation des personnes. Parmi les 40% d'étrangers qui contribuent au bon fonctionnement des hôpitaux du pays, beaucoup viennent des pays de l'Est. Ces formations semblent donc apparemment répondre aux exigences suisses.
La situation pourrait néanmoins évoluer prochainement grâce à une impulsion politique. «La dépendance vis-à-vis de l'étranger est problématique», estime Benjamin Roduit. De son côté, le président du PLR, a récemment appelé dans la NZZ à la suppression du numerus clausus. Fin septembre, le Conseil des Etats a adopté une motion déposée par le centriste valaisan Thierry Burkart, baptisée «Numerus clausus. En finir avec l'exclusion des étudiants en médecine sur la base de critères autres que les compétences et la qualité».
La nouvelle réjouit les étudiants partis à l'étranger. Ils doutent de l'efficacité du numerus clausus: «Il n'a aucun rapport avec les thèmes qui seront étudiés plus tard», explique un participant à l'enquête de CH Media. Selon un autre:
Et même ceux qui estiment qu'une présélection est judicieuse ne le font pas sans réserve: «Le numerus clausus est nécessaire, mais il doit être affiné».
(Traduit de l'allemand par Valentine Zenker)