L'ambassade de Russie à Berne lit attentivement les journaux locaux. Chaque fois que des critiques à l'encontre de la Russie ou du président Vladimir Poutine sont formulées dans leurs colonnes, elle réplique. Avec de longs textes rédigés de manière acerbe sur le site web de l'ambassade et dans les médias sociaux. En substance:
L'ambassade ne s'en tient plus à de simples paroles. Dans une prise de position passée inaperçue jusqu'à aujourd'hui, elle menace le correspondant en Europe de l'Est de la NZZ, Ivo Mijnssen, domicilié à Vienne, d'emprisonnement s'il se rend en Russie. «L'apologie publique du terrorisme et de la propagande terroriste» est passible d'une peine de prison de cinq à sept ans, prévient l'ambassade. Elle enclenche ainsi une nouvelle étape dans l'escalade.
Un article de Mijnssen paru il y a près de deux semaines a mis les représentants russes en colère. L'ambassade russe lui reproche d'essayer de «donner au lecteur l'impression que presque tout le monde dans la ville déteste la Russie». De son point de vue, il est clair que l'auteur «ne fait que reprendre les inventions et les rumeurs les plus ridicules propagées par le régime de Kiev et ses sbires.»
Dans les médias sociaux, les réactions sont vives. Le journaliste de la WOZ Kaspar Surber parle d'une «ingérence inconcevable» dans la liberté de la presse en Suisse. «Le Conseil fédéral ne doit pas se laisser faire», écrit-il sur Twitter. Et l'ancien correspondant en Russie de la radio SRF, David Nauer, appelle à «la solidarité avec Ivo!»
En politique aussi, des critiques se font entendre. Pour la conseillère nationale argovienne du centre Marianne Binder-Keller, les attaques verbales vont trop loin depuis longtemps. «Les interventions de l'ambassadeur russe sont absolument inquiétantes, tant par leur contenu que par leur tonalité. Elles me rappellent la propagande de la guerre froide. La nature des attaques personnelles pourrait à mon avis également être comprise comme une intimidation cachée», déclarait-elle déjà il y a deux ans à CH Media.
Par la suite, la politicienne a demandé au Conseil fédéral s'il estimait que ce ton était «compatible avec les usages diplomatiques». Dans sa réponse, le gouvernement du pays s'est montré muet. Le droit à la liberté des médias est «un pilier important de notre démocratie». Il tient à ce droit. «En règle générale, le Conseil fédéral ne commente pas les déclarations d'ambassadeurs accrédités en Suisse concernant des articles de presse».
Plus tard dans la soirée, Nicolas Bideau s'est exprimé concernant cette menace. «Nous lui rappellerons (réd: à l'ambassadeur Sergei Garmonin) que la liberté d'information et la liberté des médias sont garanties par la Constitution fédérale», écrit sur Twitter le chef de la communication du Département fédéral des Affaires étrangères (DFAE).
Les menaces de la Russie envers le journaliste de la NZZ étaient en lien avec la couverture de ce dernier de l'agression russe en Ukraine. Interrogé par Keystone-ATS, le DFAE n'a pas précisé sous quelle forme se fera la protestation. En tout cas, la Suisse fera savoir sa position «sans équivoque».