«Bonne chance aux tribunaux qui devront trancher sur le salaire minimum»
Ce mardi, le Conseil national a accepté une motion du conseiller aux Etats Erich Ettlin (Centre/OW), demandant à faire primer les conventions collectives de travail (CCT) étendues sur les lois cantonales. Dans son viseur: les salaires minimaux, présents à Genève, Neuchâtel, Jura, Bâle-Ville et dans le Tessin. La loi est transmise au Conseil des Etats, où passer la rampe ne devrait être qu'une formalité.
Mais, dans les faits, son application est-elle possible? Qu'en dit la loi suisse? Karine Lempen répond à nos questions. Elle est professeure de droit à l'Université de Genève et spécialisée dans le droit du travail. Elle dirige, par ailleurs, le pôle Berenstein, spécialisé dans ces questions, et est présidente suppléante de la chambre genevoise des relations collectives de travail.
Faire primer les CCT sur les lois cantonales, est-ce juridiquement possible?
La règle générale, prévue à l’article 358 du code des obligations, est que le droit impératif, qu'il soit fédéral ou cantonal, l'emporte. Ainsi, si une convention collective de travail prévoit un salaire inférieur au salaire minimum cantonal, ce dernier, plus élevé, s’applique.
Et cela en créant des exceptions en faveur de certaines CCT, celles «déclarées de force obligatoires», dont le champ d’application est étendu à l'ensemble d'une branche ou d'une profession via un arrêté cantonal ou fédéral, ce qui leur offre plus de légitimité. Si ce projet venait à entrer en vigueur, cela signifierait que lorsqu’une CCT étendue prévoit un salaire inférieur au salaire minimum cantonal, le salaire inférieur s’appliquerait. Mais quoiqu'il arrive avec ce projet, les lois cantonales vont rester en vigueur.
En pratique, est-ce que des gens qui touchent un salaire minimum vont perdre de l'argent?
Dans les faits, le projet vise à élargir le cercle des exceptions au champ d'application du salaire minimum dans les cantons de Genève et Neuchâtel.
Ce sont celles qui travaillent dans une branche avec une CCT étendue prévoyant un salaire inférieur au salaire minimum, notamment dans la restauration, les salons de coiffure, les nettoyages. Ce ne sera pas le cas dans le Jura, dont la loi fait déjà primer les CCT sur le salaire minimal cantonal, tout comme à Bâle-Ville et au Tessin.
Les salariés peuvent-ils déjà savoir s'ils vont devoir subir la loi des salaires minimaux ou celle des CCT?
Tout dépend dans quelle branche ils travaillent. Si elle entre en vigueur, la révision risque d’entraîner des conflits entre différentes clauses salariales applicables à une même personne.
Le principe de la clause la plus favorable, qui veut qu’entre deux normes salariales on applique celle qui prévoit le salaire le plus élevé, restera en vigueur. Le Conseil fédéral n’a pas voulu modifier l’article 358 du code des obligations, afin de ne pas bouleverser complètement la hiérarchie des normes en droit suisse, ce qui causerait de grandes insécurités juridiques.
On en trouve aussi trace dans la Constitution 👇🏻
Est-il possible de forcer les CCT à se calquer sur le salaire minimum?
Non, car les CCT sont le fruit des négociations entre associations syndicales et patronales. Mais dans les faits, l’existence d’un salaire minimum cantonal peut servir de base de négociation.
