Le syndrome d'Ehlers-Danlos (SED) fait partie de ces maladies invisibles qui peuvent pourrir la vie de nombreuses personnes, le plus souvent des femmes. Elles représentent 98% des cas vus en consultation, selon le Centre hospitalier universitaire vaudois (Chuv).
Rosanne, une habitante de Bex (VD) de 34 ans, est atteinte de cette maladie et se définit elle-même comme «patiente-spécialiste».
La Bellerine nous éclaire sur les difficultés rencontrées au quotidien:
La maladie est définie comme une anomalie rare du tissu conjonctif d'origine héréditaire caractérisée par une hyperextensibilité de la peau, de larges cicatrices atrophiques et une hypermobilité articulaire généralisée. On comptabilise 13 formes distinctes du SED, selon des spécialistes contactés.
Concrètement, le SED est dit multi-systémique. Outre les douleurs chroniques, de nombreux troubles (digestifs, de l'épiderme et même cadiovasculaires) frappent les patients.
Pour Rosanne, l'imprévisibilité de la maladie est également un facteur aggravant:
En dehors des multiples séances de physio, pour y remédier, des spécialistes apposent le plus souvent des tapes (bandage adhésif thérapeutique) pour stabiliser les articulations et ainsi soulager les douleurs. Pour les plus malchanceux, le taping ne fonctionne pas. C'est le cas de Rosanne: «Je suis allergique à la colle des pansements. A la place, j'ai des habits compressifs. Je les porte 1-2 heures par jour ou lorsque j’ai de grosses douleurs.»
La maladie enchaîne les individus à des douleurs quotidiennes qui sont parfois insupportables. Un supplice, entre aller-retour chez le médecin et existence placée entre parenthèses. Nombreux doivent stopper leur activité professionnelle, écrasés par les maux et cet épuisement chronique. Rosanne explique ne plus pouvoir travailler à force de gros tremblements, voire d'une impossibilité à marcher et l'obligeant de s'équiper de béquilles. «Et 2h après, je peux me déplacer normalement», coupe-t-elle.
Pour faire le point sur cette maladie invisible, nous avons passé un coup de fil à l'association Ehlers-Danlos Netz Schweiz et ses spécialistes, ainsi que la Dre Aylin Canbek, cheffe de clinique à la clinique de rhumatologie de l’Hôpital universitaire de Zurich et responsable du board médical. Un réseau qui s'engage activement à une meilleure reconnaissance du syndrome auprès des professionnels de la santé et du public.
Lors de nos échanges, la première question était la courbe que prenait le syndrome ces dernières années. Des spécialistes contactés constatent «une augmentation de cas suspectés».
Une hausse également vérifiée par le réseau suisse:
Bien que la courbe grimpe, elle est à analyser sous différents angles: «Cette progression semble davantage refléter une meilleure reconnaissance de la pathologie», informe le réseau helvétique.
Les chiffres montrent que la prévalence est estimée à environ 1 cas pour 5000 personnes. Or les spécialistes sont clairs à ce titre: «Ce chiffre, bien que classant le SED parmi les maladies rares, en fait une affection plus fréquente qu'on ne l'imagine.»
Le réel problème réside dans la difficulté pour les personnes atteintes du syndrome à obtenir un diagnostic rapide. C'est en ces termes que le réseau l'explique:
Le passage fatidique du diagnostic est semé d'embuches pour les deux parties. C'est là qu'intervient le «medical gaslighting». Ce terme est connu dans le milieu médical lorsque le professionnel de santé minimise, nie ou dévalorise les symptômes du patient ou de la patiente.
«C'est dans ta tête» est un refrain que les personnes atteintes par cette maladie peuvent entendre dans la bouche d'un proche, voire d'un médecin traitant qui minimise les plaintes du malade.
«Personne ne m'écoutait au début», raconte Rosanne. La jeune femme confie avoir eu de premiers symptômes à l'âge de 8 ans, victime de tendinites chroniques. Elle ajoute: «A 13 ans, j’ai dû être alitée pendant sept semaines parce que je ne pouvais plus marcher. Mais ils me disaient tous que c’était dans ma tête, que j’étais folle et que ma mère était surprotectrice.»
Rosanne a attendu près de quatorze ans pour qu'un diagnostic définitif soit posé, en août 2023 pour être précis. Un chiffre qui, selon le réseau suisse, se situe dans la moyenne, selon les dernières études, qui évoquent un délai moyen de quatre ans pour les hommes et seize ans pour les femmes. C'est elle-même qui a dû forcer le destin, en formulant une demande au secteur des maladies rares au Chuv, en «surlignant dans mon dossier la liste de mes symptômes», avance-t-elle. C'est à ce moment que les choses ont bougé.
Déceler une maladie rare est un vrai casse-tête pour les spécialistes. Dans l'intervalle, pour les patients, l'attente engendre des conséquences psychologiques indéniables. Le défi des cliniciens à établir un diagnostic peuvent envoyer un patient ou une patiente dans une forme de rejet.
Or, de nos jours, si tout indique que la maladie progresse, la sensibilisation à la maladie est un facteur à prendre en compte. L'augmentation considérable des recherches Google en Suisse en est la preuve. Le réseau suisse du SED est catégorique, preuves à l'appui:
Ces informations exposent les failles et le manque d'informations concernant les maladies rares, selon le réseau helvétique, signalant des dysfonctionnements persistants du système de santé suisse.
Mais aujourd'hui, il s'agit avant tout de réduire les délais entre l'apparition des symptômes, le diagnostic et la mise en place d'un traitement adéquat, affirme l'association. «La route reste longue vers une reconnaissance des particularités du SED et des besoins spécifiques des personnes qui en sont atteintes», poursuit-elle.
Pour Rosanne, comme elle nous le confie, c'est un véritable chemin de croix. Pire, différentes maladies (syndrome du nerf d'Arnold, migraines chroniques et endométriose, entre autres) ont été déclenchées par le SED. «Ils viennent de me diagnostiquer un TSA (réd: un trouble du spectre de l'autisme)», nous souffle-t-elle.
Pour la Vaudoise, après la longue attente de son diagnostic, sa patience est à nouveau mise à rude épreuve pour obtenir une rente AI. Les demandes «se terminent souvent par des réponses négatives», soupire la Bellerine. «Mais mes médecins espèrent que mes autres maladies qui sont directement liées au SED peuvent favoriser ma requête», poursuit-elle.
Et de conclure, remplie d'humilité: «C'est une maladie très complexe pour le corps médical comme pour les patients». Au vu de nos longues et multiples discussions avec les spécialistes, qui préfèrent le plus souvent se prononcer anonymement, le syndrome d'Ehlers-Danlos est à n'en pas douter une maladie qui demandera de longues années pour être comprise par les pontes de la médecine.