Au bord du lac des Quatre-Cantons, sur la prairie mythique du Grütli, symbole de la Suisse primitive, le 1er août 2021 s'est célébré comme une fête des femmes autant qu'une fête nationale. Le but de cette manifestation, organisée par «l'alliance F» 50 ans après l'introduction officielle du droit de vote des femmes en Suisse? «Rendre hommage, rassembler et préparer le futur», explique la faîtière des organisations féminines suisses dans son communiqué de presse.
Or, on peut précisément se questionner sur la dimension rassembleuse de cet événement. Comptant presque exclusivement des femmes, les 600 personnes présentes sur le Grütli ont toutes mangé végétarien, chanté une version modifiée de l'hymne national et applaudi l'image non pas des trois Confondérés qui, d'après la légende, auraient prêté serment en ce lieu de la commune uranaise de Seelisberg, mais de trois femmes de couleurs différentes.
En Suisse, le droit de vote des femmes est acquis non seulement dans les faits, mais aussi, heureusement, dans les mentalités. Nos démocraties actuelles, fondées sur les Lumières, ne peuvent être envisagées sans le suffrage universel. La démocratie, c'est «un individu, une voix». Ce slogan bien pensé balaie d'emblée tout favoritisme, fût-il bienveillant, et rappelle que le citoyen est avant tout, sur le plan politique, un individu.
Pourquoi donc des associations ayant pour but de représenter les intérêts des femmes dans la vie politique et la société, choisissent-elles le 1er août pour organiser leur manifestation «à part»? Les personnes à y avoir participé sont très certainement de bonne volonté, portées par la simple et saine idée civique que la démocratie doit se vivre et se vivre par tout le monde. Mais cette manière de mettre en lumière l'identité féminine un jour où devrait primer – pour une fois dans l'année... – l'identité nationale n'a rien de rassembleur.
L'identité suisse, précisément, est une identité politique. Elle définit des individus libres et égaux en droits et en devoirs, qui veulent former une communauté de destin en suivant certains principes (indépendance, souveraineté, fédéralisme, ouverture...). Les tribus, au moins le 1er août, n'ont pas besoin de s'auto-célébrer.