Bien sûr, ce n’est que du foot, les succès de la Nati ne relanceront pas l’Accord cadre et ne feront pas revenir le berger Ötzi. Mais pour nous autres, peuple à moitié confiné et prostré, les hurlements de joie (France) comme les cris de colère (Italie) ont résonné comme une délivrance.
Il n’y avait pas trop de klaxons dans les rues pour annoncer un brillant réveil, pas trop d’embrassades sur le terrain, et tant pis si ce ne sont que des batifolages de gredins en cuissettes, pour réhabiliter des bonheurs défendus, pour nous pousser dans les bras l’un de l’autre, après une année derrière les barrières.
Ce n’est pas la première fois, bien sûr, que la Suisse cocardière met le nez à la fenêtre et les drapeaux au balcon. Mais ses cris n’avaient jamais résonné aussi fort, aussi loin, dans un chahut que nous laissions volontiers aux autres (Italie, Portugal, Espagne) sans les trouver totalement mesquins, mais un peu benêts quand même.
Cette fois, ce fut notre tour. Un tour, deux tours de phase finale, mille tours de pâté de maison, le coeur ouvert à l’inconnu, en braillant comme des bienheureux. Parce que nous le voulions bien. Parce que nous en avions besoin.
La Nati, bien sûr, n’était pas si différente des autres fois, elle avait les mêmes limites, les mêmes incongruités face à la frugalité des réalités citoyennes (un employé qui aurait commis une faute n’aurait pas l’idée de se présenter le lendemain avec une tignasse peroxydée, sauf pour démontrer qu’il n’en fait qu’à sa tête), mais la Nati a surtout tenu ses promesses, de surcroît de très grandes promesses, avec beaucoup d’intelligence et de hardiesse.
La perception ne sera plus jamais la même. Comme les hockeyeurs après leur première finale de Mondial, les footballeurs suisses s'affranchissent d’un héritage. Ça ne veut pas dire qu’ils brigueront le titre au Qatar, ni qu’ils sont devenus l’égal de la France. Mais ça veut dire qu’ils peuvent exister (que nous le pouvons tous, en somme), et c’est déjà une autre perspective.
Pour toutes ces raisons, l’Euro de la Suisse restera une délivrance, non par son enjeu somme toute futile, non par ses émois sans risque, mais pour les immenses énergies positives qu’il a répandues dans nos vies endormies. C’est un peu le sentiment qui domine, en ce petit matin blême: la bande à Xhaka nous a ramenés à la vie. Nous lui en serons éternellement reconnaissants.