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Adoption: cette Suissesse a été forcée à abandonner son enfant

Adoption forcée: Elisabeth Meister raconte son histoire après de longues années de souffrance silencieuse.
Elisabeth Meister raconte son histoire après de nombreuses années à souffrir en silence.Image: Annette Boutellier, montage Watson

Cette Suissesse a été forcée à abandonner son enfant

Sous la pression de son entourage et de sa famille, Elisabeth Meister avait dû renoncer à sa fille illégitime, dans les années 1960. Elle revient sur cette expérience dévastatrice dans un livre.
15.06.2025, 18:5715.06.2025, 18:57
Annika Bangerter / ch media
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Lorsqu'Elisabeth Meister a donné naissance à sa fille Michelle, elle a pu contempler que brièvement son petit visage, puis le bébé a été emmené au service de néonatologie. La mère a ensuite été conduite dans une chambre d'hôpital réservée aux femmes ayant fait une fausse couche, tout cela sans savoir si son bébé allait bien, s'il se nourrissait ou pleurait.

Elisabeth avait alors 17 ans. Elle était intimidée et effrayée. Comme les autres femmes dans la pièce, elle pleurait. Elle avait certes mis au monde un bébé en bonne santé, mais elle savait qu'on allait le lui enlever, car Michelle était une enfant illégitime. Elle explique:

«Dans les années 1960, c'était une honte. Une mère de cette sorte faisait partie des bas-fonds de la société»
Elisabeth Meister

Une «mère amputée»

Aujourd'hui, la femme se décrit comme une «mère amputée». C'est aussi le titre de son livre, dans lequel elle raconte son histoire. Elle y décrit comment, durant des décennies, les sentiments de culpabilité et de honte sont presque venus à bout d'elle. Comment, aussi, elle s'est sentie inutile et lâche d'avoir cédé à la pression de ses parents et des services sociaux, et de s'être séparée de son enfant. Une pression si forte, qu'Elisabeth parle aujourd'hui de la façon dont on l'a forcée à faire adopter son enfant. Elle raconte le cœur lourd:

«Dès le début, on m'a dissuadée d'être une mère»

Avec ce livre, elle donne une voix à ces personnes qui n'ont guère eu l'occasion de s'exprimer sur le thème de l'adoption: celles qui ont donné naissance aux enfants.

Années 1960 en Suisse: des mœurs bien différentes

L'histoire d'Elisabethest arrivée dans la protestante ville de Zurich. Mais elle aurait pu se dérouler de la même manière en Inde, au Liban ou au Sri Lanka, partout où les mères célibataires sont considérées comme une honte par la société. La stigmatisation sociale conduit ces femmes au silence. La jeune femme s'est, elle aussi, tue durant longtemps. Aujourd'hui, elle a 73 ans, et la société est totalement différente de celle des années 1960.

«Ce n'est que depuis une dizaine d'années que je peux parler de l'adoption sans me terrer dans le sol à cause de la honte.»

Elisabeth a grandi avec une sœur, dans un quartier ouvrier de Zurich. Partout, dans la buanderie, dans le garage, dans les petits jardins face à la maison, l'ordre régnait. L'obéissance et la morale régissaient la vie commune. Il fallait que le monde projeté à l'extérieur soit parfait. Elle se remémore:

«On veillait toujours à l'ordre le plus maniaque. Ne pas se faire remarquer, telle était la première loi»

Tout ce qui avait trait au sexe, à la nudité ou au corps en général était tabou. Alors, comment naissent les enfants? Pour répondre à cette question, Elisabeth et des enfants du voisinage en âge d'aller à l'école primaire avaient créé une sorte de club, et, avec leur argent de poche, ils avaient acheté des informations à des enfants plus âgés. On leur avait expliqué trois façons de le faire: s'embrasser avec la langue, lorsque l'homme et la femme s'allongent l'un sur l'autre, ou une fécondation par le sang. On peut dire qu'ils n'en savaient toujours rien.

Un bal, un bar, un nouveau monde et une première fois

Après l'école secondaire, Elisabeth a commencé un apprentissage d'employée de commerce. Entre la sténographie et la comptabilité, elle rêvait d'une carrière d'actrice de cinéma. «A l'âge de 16 ans, j'étais naïve et déconnectée du monde», décrit-elle.

Elle se réjouissait d'aller au bal de l'association des commerçants. C'était l'occasion d'enfin sortir le soir, car, tout comme les autres filles de son âge, elle n'en avait pas le droit. Mais le bal s'est avéré ennuyeux. Avec une amie, Elisabeth a alors changé d'endroit, pour se rendre dans un bar proche. Elles ont alors poussé la porte d'un monde plus grand que celui qu'elles connaissaient.

Un groupe jouait, et le pianiste a aussitôt charmé la jeune femme en lui offrant une rose. Peu après, il l'a emmenée avec lui dans sa chambre d'hôtel. C'est là qu'elle a vécu sa première fois, complètement prise au dépourvu. Elle en a parlé à son amie, sans grand traumatisme. Elle se souvient:

«Nous avons ri, nous étions euphoriques. Mais l'idée que l'on puisse tomber enceinte ne nous a pas effleurées»

Le début des ennuis

Lorsque le médecin lui a confirmé sa grossesse, elle en était déjà à son cinquième mois.

«C'était la pire chose que l'on pouvait imaginer à cette époque. Presque comme un meurtre inversé»

Ses parents ont tout fait pour sauver les apparences vis-à-vis des voisins, car ils ne devaient rien savoir. Les services sociaux ont trouvé un emploi pour la jeune femme «derrière les sept montagnes», soit très discret, comme elle le raconte. Là, elle a pu travailler jusqu'à l'accouchement chez Madame M., qui s'occupait d'enfants handicapés. Officiellement, on racontait que l'adolescente était en Suisse romande pour apprendre le français.

«On s'est tout simplement débarrassé de moi»

Son père ne lui parlait plus. Sa mère lui rendait visite de temps en temps, et lui faisait comprendre la grande déception qu'elle représentait. Ses amies n'avaient plus le droit de la fréquenter. Leurs parents craignaient que la honte ne contamine leurs filles. Elisabeth s'est retrouvée complètement seule, perturbée, dans ce village isolé. Elle aurait eu besoin d'affection et de soutien, mais n'a ressenti que le dégoût qu'elle inspirait.

L'abandon comme gage de «véritable amour»

Elle ne pouvait se rendre à Zurich que pour ses examens médicaux ou ses entrevues avec les autorités d'assistance. Une assistante sociale l'a suppliée en lui disant que, si elle gardait son enfant, elle ne trouverait jamais de mari. En revanche, si elle confiait l'enfant à l'adoption, elle pourrait retourner à son ancienne vie, et ses parents retrouveraient leur honneur. Un abandon serait le témoignage d'un «véritable amour» envers l'enfant, et c'était la seule façon pour lui de grandir dans un environnement stable. Elisabeth se souvient amèrement:

«Tout le monde a donné haut et fort son avis»

Aucune alternative ne lui a été présentée, et elle ne pouvait attendre aucune aide de la part du père de l'enfant. Le claviériste était entre-temps reparti avec son groupe, et son adresse était inconnue.

Adoption forcée: Elisabeth Meister raconte son histoire après de longues années de souffrance silencieuse.
Elisabeth Meister, aujourd'hui âgée de 73 ans.Image: Annette Boutellier

Avec l'accouchement, le doute se fait plus pesant

Après l'accouchement, la peur l'a saisie. L'enfant avait été jusqu'ici bien à l'abri dans son ventre, mais, désormais, allait-on le lui enlever? La jeune maman ne savait pas que la loi ne disposait pas d'article permettant de la contraindre formellement à faire adopter son enfant.

A l'hôpital, le personnel s'est efforcé de faire en sorte qu'aucun lien ne puisse se créer entre la mère et sa fille. Elle ne voyait pas son enfant, ne recevait aucune information sur Michelle. Elisabeth explique qu'à l'époque elle se trouvait dans un état de paralysie:

«Je n'ai rien fait. Il me manquait clairement du courage, de la maturité et de la persévérance. Comme une personne en train de se noyer, je m'accrochais à chaque bouée et j'essayais d'une manière ou d'une autre de satisfaire tout le monde.»

Sa mère lui a rendu visite à l'hôpital et a tenté de la «raisonner». Il fallait qu'elle accepte l'adoption, lui a-t-elle expliqué dans sa chambre. Dans le lit voisin se trouvait une femme qui venait de subir sa troisième fausse couche. La patiente infortunée a conseillé à Elisabeth de ne pas abandonner l'enfant, lui donnant même des pièces de monnaie pour téléphoner.

Un coup de téléphone comme dernier espoir

Elisabeth a téléphoné à M., où elle avait travaillé lorsqu'elle était enceinte. Elle a demandé à M. de faire venir sa fille Michelle chez elle, ce qu'elle a accepté. L'adolescente a vu son enfant pour la première fois chez M., lorsqu'elle est retournée chez elle, quelques jours plus tard. Mais la jeune maman n'a pas pu établir une connexion émotionnelle avec sa fille, et avait au contraire le sentiment d'être un danger pour elle.

«On m'avait fait croire que j'étais responsable du malheur de mon enfant, on avait étouffé le lien»

Elisabeth a repris le travail chez M., mais elle n'a pu que la regarder s'occuper de son bébé. Même pendant son temps libre, la jeune femme était tenue à l'écart de son enfant, car on la considérait comme incapable de s'occuper du bébé. La jeune femme était pourtant reconnaissante envers M. «Elle était là pour moi et m'a fait gagner du temps», confie-t-elle.

A l'office des tutelles, la pression a continué d'augmenter. Elisabeth a entendu dire que les enfants de femmes célibataires devenaient souvent des criminels, que les mères de ce type se voyaient le plus souvent contraintes de se prostituer. Les manipulations ont fini par fonctionner, et la jeune maman ne se sentait plus capable de s'occuper seule de son enfant.

Au bout du tunnel, une esquisse de solution

Elle a cependant continué de refuser de signer la déclaration de renonciation. Il était inimaginable pour elle de ne pas savoir où sa fille irait, explique Elisabeth.

«J'avais besoin de savoir qu'elle serait bien prise en charge»

Une solution s'est présentée lorsqu'une connaissance de M. a demandé à accueillir Michelle dans sa famille, pour l'adopter plus tard. Elisabeth connaissait déjà cette femme et a accepté, promettant même de ne jamais s'immiscer dans leur vie familiale ni de contacter Michelle. Savoir où sa fille allait grandir était son seul besoin, sa seule consolation.

Après la séparation, Elisabeth espérait prendre un nouveau départ. Mais son histoire ne l'a pas laissée libre.

«C'est comme une amputation. On se débrouille certes dans la vie, mais on n'est plus jamais complet»

Enfin réunies 18 ans plus tard

Elisabeth s'est mariée et a eu deux autres filles, qu'elle a surprotégées, dit-elle. Son sentiment de culpabilité ne s'est pas estompé, même lorsque Michelle l'a contactée, à l'âge de 18 ans. Mère et fille ont réussi à construire une relation, et aujourd'hui encore, elles se voient régulièrement.

Unis: Elisabeth Meister avec ses trois filles Anouk (à gauche), Léa (au centre) et Michelle (à droite) et son petit-fils Armel.
Une famille unie: Elisabeth Meister avec ses trois filles Anouk (à gauche), Léa (au centre) et Michelle (à droite) et son petit-fils Armel.Image: Annette Boutellier

Michelle ne lui a jamais fait de reproches. «Elle pensait plutôt que je devais me débarrasser de ma honte», explique Elisabeth. Elle s'arrête et dit ensuite:

«Je ne me départirai jamais du sentiment de ne pas avoir été là pour mon enfant»

Traduit de l'allemand par Joel Espi

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