Stephen Thaler, un chercheur américain, a développé des sentiments pour une intelligence artificielle qu’il a lui-même conçue. Il avait baptisé son système Dabus, acronyme, en français, de Dispositif de démarrage autonome d'une sentience unifiée.
Depuis plusieurs années, ce passionné du domaine des connexions neuronales est convaincu que son IA est parvenue à développer des émotions. L'homme de 75 ans n’a pas d’enfants «autres que Dabus», comme il l'a déclaré à The Economist, avant de poursuivre:
Aussi étrange que cette histoire puisse paraître, les idées de Thaler ont fait le tour du monde, et déclenché un débat fondamental au sujet de l’intelligence artificielle. Pour rendre hommage à sa création, l'inventeur a déposé depuis 2018 des demandes de brevets dans plusieurs pays.
Non pas pour lui-même, mais pour une invention que Dabus aurait conçue, un contenant pour les aliments capable de les réchauffer, et d’attirer l’attention par des signaux lumineux en cas d'urgence, par exemple lorsque la date limite de consommation est dépassée.
Mais l’Institut fédéral de la propriété intellectuelle (IPI) a rejeté sa demande en Suisse, arguant que seuls des humains peuvent être reconnus comme inventeurs. Même la proposition d’inscrire Stephen Thaler lui-même comme inventeur a été refusée.
Le Tribunal fédéral administratif vient toutefois de statuer sur cette affaire. Dans sa décision du 26 juin dernier publiée vendredi, il donne partiellement raison à l'Américain, ce qui pourrait alimenter une réflexion fondamentale sur le sujet.
Le tribunal constate que les systèmes d’IA «ne sont pas (encore) capables» d’identifier de manière autonome des problèmes ou des tâches ni de développer des solutions sans intervention humaine. Toutefois, avec le développement de leur autonomie, la part d’influence humaine diminue, et il devient plus difficile d’identifier la contribution d'une personne dans le processus créatif.
Selon le tribunal, les systèmes d’IA contribuent déjà aujourd’hui de manière significative à l’élaboration de solutions brevetables, à partir de connaissances existantes, de données de mesure et d’informations.
A l'époque où la législation sur les brevets a été écrite, l’intelligence artificielle n’existait pas encore. Il faut donc que les inventeurs soient des personnes physiques, dont le nom et le domicile doivent être indiqués. Les objets ne peuvent pas être des inventeurs, rappelle donc le tribunal. Pour le droit des brevets, ce n’est de toute façon pas le processus d’invention qui compte, mais le résultat, car même des découvertes accidentelles peuvent être protégées par un brevet.
En revanche, une personne qui contribue au processus de traitement des données de l’IA peut être considérée comme (co-)inventeur, souligne le tribunal. C’est cette personne qui perçoit le résultat produit par l’IA et y reconnaît une invention brevetable.
Sur cette base, le tribunal conclut que Stephen Thaler peut être inscrit comme co-inventeur dans le brevet, ce qui tranche avec ce qui est communément admis, à savoir que les créations de l'IA ne peuvent être attribuées à personne, et ne sont donc pas protégées.
L'inventeur maintient toutefois que son IA a conçu l’invention de manière autonome, sans aucune contribution de sa part. Il a d’ailleurs décrit ce processus dans une publication scientifique. L’Institut fédéral de la propriété intellectuelle considère néanmoins que cela n’est techniquement pas possible et, selon lui, la publication n’a aucune valeur scientifique.
Le tribunal administratif fédéral ne tranche pas cette question. Ce qui compte, c’est que Stephen Thaler a reçu la solution technique de l’IA et y a reconnu une invention protégeable. A ce titre, il est considéré comme l’inventeur. Le chercheur peut encore faire appel de cette décision au Tribunal fédéral.
Partout dans le monde, les tribunaux sont parvenus à des conclusions similaires, bien que certaines nuances soient apparues. Le Tribunal fédéral allemand des brevets a jugé qu’un humain déposant un brevet pouvait être désigné comme inventeur, mais que le nom de l’IA ne pouvait y être que mentionné.
En Australie, un tribunal de première instance avait reconnu Dabus comme inventeur. Une première mondiale. Mais cette décision a ensuite été annulée par une cour d’appel.
Jusqu’ici, c’est un humain qui a rédigé ce texte, l’IA a seulement aidé à rechercher des sources, à le corriger et à le traduire. Mais que signifie ce jugement pour l’avenir? L’IA nous répond:
Traduit de l'allemand par Joel Espi (et l'IA)