Suisse
Société

«Le crack n'a jamais été aussi bon marché» et Lausanne trinque

Camille Robert, co-secrétaire générale du Grea, appelle à une meilleure politique cantonale concernant les consommateurs de drogue.
Camille Robert appelle à plus de cohésion entre les différents cantons dans le domaine des addictions. Image: watson / keystone

Crise du crack: «Il n'y a pas de raison que Vaud paie pour tout le monde»

Depuis des mois, locataires et commerçants de la Riponne sont à bout à cause des personnes toxicodépendantes installées sur la célèbre place lausannoise. Que faire? Le groupement romand d'études des addictions (Grea) répond.
06.11.2025, 05:3306.11.2025, 07:46

La Place de la Riponne cristallise les débats autour de la problématique liée à la scène de la drogue. Les commerçants sont remontés et les locataires épuisés d'être aux premières loges. Sylvie nous confiait la semaine passée:

«Mon fils a vu un toxicomane, armé d'un couteau, braquer un autre toxicomane»

Camille Robert, co-secrétaire du groupement romand d'études des addictions (Grea), revient sur la situation.

Quel regard portez-vous sur la crise actuelle à la Riponne?
Camille Robert: Objectivement, la situation s'est dégradée. Les préoccupations des locataires, des commerçants sont 100% légitimes. Mais cette dégradation est due à plusieurs facteurs. D'une part, les espaces de consommation sécurisés sont arrivés tardivement à Lausanne. C'est une politique nouvelle et elle prend du temps à se mettre en place. De plus, l'arrivée du crack entraîne un changement systémique, qui modifie la façon de consommer et le travail que doivent fournir les professionnels des addictions.

Vidéo: watson

Sur le terrain, il semblerait que le crack soit devenu moins cher et qu'il soit de meilleure qualité.
La cocaïne et toutes les autres drogues n'ont jamais été aussi disponibles et bon marché qu'aujourd'hui. Malgré le fait qu'il y a de plus en plus de saisies, l'offre n'a jamais été aussi forte et logiquement cela fait baisser les prix.

Et sur la scène de la drogue suisse, le crack a supplanté l'héroïne. C'est un gros changement pour les personnes qui accompagnent les toxicodépendants?
En Suisse, les espaces de consommation et la politique de réduction des risques s'est construite à une époque où les consommateurs s'injectaient de l'héroïne. Avec l'héroïne, on a tendance à s'endormir. Les personnes sur le terrain étaient préparées à les stimuler et les maintenir éveillées. A présent, la donne a changé.

Comment ça?
En peu de temps, ils ont dû apprendre un nouveau métier, de nouvelles formes d'accompagnement, car le crack, c'est l'effet inverse.

«Les consommateurs sont hyper stimulés, ils peuvent devenir agressifs, ils ne mangent pas, ils ne s'hydratent pas, ils ne dorment pas»

C’est une substance qui agit très vite et très fort. La redescente est quasiment immédiate. Souvent, les gens qui consomment du crack le font dans une forme de boucle. Ils vont consommer, chercher le produit et ainsi de suite. Et cela pendant 24h, 36h ou 48h. C'est le manque de sommeil qui rend ces personnes agressives, pas le produit.

A vous entendre, il faut revoir les structures d'accueil?
A Genève, par exemple, les espaces de consommation sécurisés n'étaient plus adaptés pour accueillir ces personnes. D'où la période de fermeture (réd: deux ans de travaux et une réouverture en juillet 2025) et l'extension du Quai 9 pour adapter leur ECS.

Le Quai 9, à Genève. Suisse: la consommation de crack explose à Genève
Le Quai 9, à Genève.Image: KEYSTONE

Quelles sont ces adaptations?
Ils ont créé une salle spécifiquement pour l'inhalation de crack, séparée du local d'injection. Cela permet de mieux gérer les flux, les tensions, les bagarres entre consommateurs. A Lausanne, Il faudrait un espace extérieur pour ces personnes, intermédiaire entre l’ECS et la rue.

«Un des problèmes qu'on rencontre aujourd'hui, dans les ECS, c'est qu'ils consomment et ressortent immédiatement dans la rue»

Et en plus, dans la rue, ils sont tout de suite devant les commerces, qui se plaignent de l'affluence des toxicodépendants.

Face à la grogne des commerçants lausannois, le débat est désormais politique.
Il y a une prise d'otage politique de ce débat, surtout à l'approche des prochaines élections communales. Je trouverais beaucoup plus sain qu'on réfléchisse à ce qui est le mieux pour les riverains, les commerçants, ainsi que les personnes concernées. On n'a pas entendu les usagers de l'ECS s'exprimer.

«Il faudrait dépolitiser le débat»

Sauf que beaucoup de partis avancent des idées idéologiques qui s'éloignent d'un pragmatisme fondé sur l'expérience d'autres pays ou régions de la Suisse.

Est-ce une bonne idée de déplacer l'antenne ECS, comme le confiait le syndic de Lausanne Grégoire Junod à 24 heures?
Tout dépend du projet et où. C'est une bonne idée de penser des espaces autour et d'intégrer l'ECS dans une chaîne d'accompagnement. Mais si c'est pour le reléguer en périphérie ou loin du centre-ville, ça n'a aucun intérêt.

La place de la Riponne fait actuellement l'objet d'un réaménagement (archives).
La Riponne est en chantier.Keystone

Quelle serait la place idéale pour un ECS à Lausanne?
Ils doivent être situés là où se trouvent les consommateurs. D'autant plus avec le crack. C'est tellement une substance de l'immédiateté; les gens l'achètent et la consomment dans la foulée, ils ont les effets quelques secondes et ils en désirent à nouveau. Il faut donc un espace de consommation proche des milieux urbains et des points de deal.

«Pour ça, la Riponne est un lieu adéquat pour un ECS»

Fermer cette antenne ECS à la Riponne serait donc un désastre?
Il y a toujours l'ECS du Vallon (réd: ouvert en 2018). Mais il y a énormément de gens qui sont éloignés des services sociaux. Ils consomment à la Riponne et n'iront pas au Vallon. En conséquence, ils se drogueront plus souvent dans la rue.

Faut-il demander un peu de patience aux locataires ou encore aux commerçants? Il semblerait qu'à Genève, cela fonctionne.
Pour des gens qui sont confrontés régulièrement à des difficultés dans leur quotidien, c'est un peu difficile à entendre. Il faut dire qu'à Genève, ça marche assez bien, mais rappelons que cela fait depuis les années 2000 qu'ils ont un ECS. Sans oublier qu'à Genève, il y a des médecins et infirmiers qui font des maraudes en ville. Malheureusement, on n'a pas ça à Lausanne. Il y a également une entente et une clarification entre les travailleurs sociaux et la police genevoise. Cette cohésion est absente à Lausanne.

Il y a un rapport-préavis qui a va être diffusé par la Ville de Lausanne. Avez-vous été consulté?
Malheureusement pas du tout. Mais nous avons publié plus tôt un papier de position sur l'accessibilité des ECS. Et lorsque nous avons entendu que ce rapport était en cours, nous avons transmis notre document aux 100 conseillères et conseillers communaux lausannois. Mais avec la Municipalité de Lausanne, nous n'avons eu aucun contact.

Les voix qui s'élèvent contre cette ECS de la Riponne expliquent que ce lieu a provoqué un appel d'air.
C'est un mythe. Les ECS n'occasionnent pas d'appel d'air.

«Ce qui crée un appel d'air, c'est la ville en tant que telle»

Les personnes qui consomment de la drogue sont automatiquement attirées par les grands centres urbains. Simplement parce que le produit s'y trouve, que leur circuit de connaissances s'y trouve également. C'est là aussi qu'elles peuvent trouver de l'argent.

Dans une vidéo publiée sur YouTube, plusieurs participants assurent que ce sont des Français qui viennent consommer et des habitants d'autres cantons. La Riponne est un épicentre de la drogue, aujourd'hui?
Selon la Fondation ABS, qui surveille la fréquentation, trois quarts des toxicodépendants sont des Vaudois. Le quart restant qui ne vient pas du canton de Vaud était déjà là avant. Simplement, on ne le comptabilisait pas parce qu'il n'existait aucun espace de consommation sécurisé. Mais effectivement, certains cantons ne mènent pas de politique de réduction des risques.

«On décharge le problème sur le canton de Vaud»

Vous pensez à un canton en particulier?
Le Valais, par exemple. Rien n'est à l'ordre du jour dans ce canton.

Vous en discutez avec d'autres cantons?
Nous souhaitons mettre en place et conclure un concordat intercantonal sur les addictions. Si un canton ou un autre refuse d'ouvrir un ECS, on pourrait imaginer des compensations financières. Il n'y a pas de raison que Vaud et Genève prennent en charge toutes les personnes toxicodépendantes de Suisse romande.

Un locataire me disait que «la Riponne, c'est Platzspitz». Les cantons n'ont-ils par appris des erreurs du passé?
Quelque part, on a peu oublié l'épisode de Platzspitz. Le problème s'est résolu avec les premiers ECS, la médecine de rue, le travail social, la lutte contre la grande précarité. Et aujourd'hui, les solutions qu'on entend à Lausanne, c'est restreindre l'accès à l'ECS...

...et même fermer cette antenne, comme le souhaite l'UDC. Avez-vous eu des discussions avec le parti?
On n'a jamais eu de discussion directe avec l'UDC. Mais tous les élus communaux ont reçu notre papier de position.

Les travaux à Lausanne
1 / 13
Les travaux à Lausanne

La gare de Lausanne

source: keystone
partager sur Facebookpartager sur X
Drogue: à Lausanne, la Riponne est une «zone de non-droit»
Video: watson
Ceci pourrait également vous intéresser:
Avez-vous quelque chose à nous dire ?
Avez-vous une remarque ou avez-vous découvert une erreur ? Vous pouvez nous transmettre votre message via le formulaire.
3 Commentaires
Votre commentaire
YouTube Link
0 / 600
3
Le CHUV pourrait supprimer 50 postes
Le CHUV à Lausanne doit réorganiser sa recherche en oncologie et thérapie cellulaire. L'hôpital, propriété de l'Etat de Vaud, annonce mardi ouvrir les négociations en vue d'un plan social, sachant que 50 postes pourraient être supprimés à terme.
Des postes à l'interne du CHUV ont déjà été identifiés et pourront être proposés aux personnes concernées. Certains profils pourraient aussi intéresser et rebondir au sein de l'Université de Lausanne (UNIL), relève Claire Charmet, directrice du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV), contactée par Keystone-ATS.
L’article