Suisse-Italie, c’est un peu le clasico des binationaux, le kilomètre zéro de l’histoire de l’immigration dans sa version foot. Ça remue toujours un peu les tripes. «Finalement, on s’en est pas mal tiré», constate Massimo Lorenzi, le chef des sports de la RTS, l’un de ces «enfants du placard», caché pendant trois ans et demi avec sa mère dans un grenier à côté de la gare de Genève. C’était au début des années 1960, le regroupement familial n’existait pas encore.
Oui, on s’en est pas mal tiré. Mieux qu’en France en tout cas, où, comme on s’en aperçoit ces jours-ci avec la victoire attendue du Rassemblement national sur fond de fractures identitaires, les drapeaux d'ici et d’ailleurs font chambre à part. En Suisse, ils dorment dans le même lit. Ou plutôt pendent côte-à-côte aux rambardes des balcons.
Comme d’autres, le journaliste italo-suisse a remarqué cette habitude qui consiste, en Suisse, chez beaucoup de binationaux, à arborer conjointement les couleurs du pays d’origine et du pays d’accueil lors des matchs de foot opposant l'un à l'autre. «Cela se vérifie aussi et de façon permanente dans les jardins ouvriers situés à la périphérie des villes», ajoute-t-il. Une quasi-coutume qui semble surtout valoir pour les immigrations de trois pays, Italie, Espagne et Portugal. Et qui se transmet de génération en génération.
L’ex-conseillère nationale socialiste vaudoise Ada Marra s’est sentie «comme pacifiée et apaisée», le jour où elle a vu le drapeau suisse et le drapeau italien flotter ensemble aux vitres ouvertes d’une voiture. «C’était il y a une dizaine d’années, à l’occasion d’une compétition sportive opposant les deux pays», se remémore-t-elle. Aux prises avec des dilemmes identitaires qu’elle nourrissait ou qu’on lui renvoyait, l'Italo-Suissesse, qui a publié en 2018 Tu parles bien français pour une italienne, estime avoir tiré profit de cette scène des drapeaux.
La réunion des couleurs, au lieu de leur opposition, est «une belle démonstration de ce qu’est le patriotisme inclusif», se félicite Ada Marra.
Massimo Lorenzi reprend la balle au bond. «Peut-être que cet esprit de revanche habite à présent d’autres nations de plus récente immigration, la kosovare par exemple, encore qu’avec Granit Xhaka et Xherdan Shaqiri dans la Nati, les Suisses d’origine kosovare peuvent être fiers du parcours des leurs.»
Pour Chantal Tauxe, l’ex-rédactrice en cheffe adjointe du magazine L’Hebdo et actuelle responsable de la communication de la Ville d’Yverdon, l’affichage conjoint des drapeaux des pays d’origine et d’accueil, «tient beaucoup à la binationalité des descendants de l’immigration, qui partagent deux amours en somme».
Le mari de Chantal Tauxe est italien. «Il est de la génération de 1982 qui avait envahi les rues de Lausanne lorsque l’Italie avait gagné cette année-là la finale de la Coupe du monde de football face à l’Allemagne», raconte-t-elle.
Massimo Lorenzi interprète l’effusion italienne de 1982 comme «un retour du refoulé».
Le chef des sports de la RTS se souvient d'un mot de son père qui l'avait marqué:
Oui, finalement, on s’en est plutôt bien tiré. «Globalement, l’intégration, en Suisse, a été réussie. Les immigrés n’ont pas été ghettoïsés comme en France, il y a toujours eu de la mixité, même dans des cités comme Meyrin.»
Un pronostic pour le Suisse-Italie de ce soir, Massimo Lorenzi? «Ça se jouera aux pénaltys.» Avec, à la maison, les deux drapeaux au balcon.