«La RTS est-elle orientée à gauche»? La télé en mission survie
Il y a de l’Arkina bleue et de l’Arkina verte sur les tables, des cartons de différentes couleurs pour voter le moment venu. De la chasse est proposée. Mais personne n’en prendra. Le public réuni mercredi soir à l’Hôtel du Moulin de Saint-Sulpice (NE) est venu écouter Pierre Bavaud et Fanny Zürcher, émissaires de la RTS dépêchés au fin fond du Val-de-Travers. Objectif: reconquérir des citoyens qu’on dit hésitants à l’approche de la votation de tous les dangers sur la redevance audiovisuelle, agendée en 2026.
Le casting, qui comprend deux générations du métier, est a priori bien pensé: Pierre Bavaud, l’aspect bourru-sympa du prof dans les films de Spielberg, et Fanny Zürcher, pleine de fraîcheur, mais revenue de toute illusion. L’un a connu l’âge d’or du métier de journaliste, lorsque les téléscripteurs crépitaient encore. La seconde est entrée à la RTS le jour où l’on y licenciait quarante collaborateurs, confiera-t-elle au cours de cette soirée de «dialogue» placée sous le signe de la «cohésion», allusion subliminale au rôle assigné à la redevance.
60 ans et plus
Si le casting est top, le lieu choisi, situé dans le canton de Neuchâtel, l’est tout autant. Il n’y a pas de terres plus modestes, plus travailleuses que ces vallées jurassiennes encastrées, où «se la péter» est strictement déconseillé.
Hormis un «petit jeune» intéressé par le journalisme, l’assistance n’a pas 20 ans. Plutôt 60 et plus. Elle est clairement masculine: dix-huit hommes pour quatre femmes arrivés à la nuit tombée sous la menace des bourrasques automnales.
Des «people»
Dans la salle, des «people» mais vrais locaux. Jacques Hainard, fils de paysans, qui fit la renommée du Musée d’ethnographie de Neuchâtel, venu en voisin des Bayards, «tout à fait opposé à la redevance à 200 francs», et l’ancien conseiller national neuchâtelois, puis ministre cantonal UDC Yvan Perrin, descendu de La Côte-aux-Fées, le village récemment distingué pour son meilleur Gruyère AOP du monde.
L’ex-élu, qui reproche à la RTS «une propagande pro-UE et une propagande gauchiste», nous dit-il, est sur ses gardes avant le début de la discussion. En aparté, il souffle encore ceci:
Passé les présentations, les deux journalistes de la RTS ont à cœur d’expliquer la hiérarchisation des sujets diffusés aux infos. Pourquoi ouvrir le TJ ce soir-là sur Gaza. Pourquoi sur la compagnie de navigation de Neuchâtel et Morat le soir suivant. Il faut alterner entre le grave et le moins grave, voire le léger, parce qu'il faut pouvoir respirer un peu.
Fanny Zürcher évoque la pression pesant parfois sur ses épaules, lorsque, à propos de la guerre à Gaza, les uns accusent la RTS d’être «antisémite», les autres, de se ranger parmi les «génocidaires».
La présentatrice semble convaincre. Un monsieur, prenant son courage à deux mains, la complimente:
«Faut que tu changes de télé», reprend un homme dans la salle, déclenchant les rires. Personne ne songerait à dénoncer un quelconque masculinisme. L'assistance se sent plutôt honorée par la présence de figures connues du service public.
Féminicides: l'origine des meurtriers
Pierre Bavaud s’aventure sur un terrain glissant: les féminicides et la nationalité de leurs auteurs. Oui, dit-il, comme anticipant toute remarque sur l’origine des meurtriers, censément minimisée par les médias et le service public en particulier, la plupart des féminicides sont commis par des hommes étrangers, mais il y a des explications à cela qui ne sont pas d’abord d’ordre culturel. Et Pierre Bavaud de citer une étude qui souligne notamment le rôle délétère de l’enfermement social.
«Je regrette qu’on ait pris le biais du sensationnel»
Un intervenant dans la salle aborde de front le thème de la rencontre, la «cohésion». «La cohésion prend ses racines auprès de la population dans les régions. Je regrette qu’on ait pris le biais du sensationnel», reproche-t-il aux deux envoyés de la RTS, ajoutant qu’«on regagnerait de l’écoute en mettant les régions plus en valeur». Mais comment faire, quand l’actualité nationale et internationale est si fournie?
Pierre Bavaud et Fanny Zürcher ne disconviennent pas de l’importance des sujets régionaux. Ils rappellent à ce propos le succès de «Couleurs locales», qui précède le TJ de 19h30. Un participant estime que la question des monnaies locales, qui périclitent dans certains territoires, mais connaissent une belle destinée dans d'autres, ferait un «bon sujet régional pour le TJ». Fanny Zürcher acquiesce:
«Ici, on n’aime pas les éoliennes»
Un homme fait valoir que, dans le Val-de-Travers, «on n’aime pas les éoliennes» et qu’«on leur préfère le nucléaire». Un sujet, monsieur-dame? Que répondre? La presse romande n’est pas réputée pronucléaire. «Peut-être que tout le monde ici ne partage pas votre avis», tente Fanny Zürcher avec le sourire.
Yvan Perrin et son vis-à-vis, l’homme opposé aux éoliennes, s’élèvent contre des temps de parole supposément inégalitaires, au détriment de l’UDC. Les deux journalistes les assurent du contraire. «Ce n’est pas faux, mais avant, c'était inégalitaire», reprend Yvan Perrin, qui se souvient d’un Infrarouge datant d’il y a longtemps, où, opposé à Micheline Calmy-Rey sur l’Europe, on lui avait souvent coupé la chique, dit-il.
Un participant reprend la balle au bond:
Opération «Beizentour», le tour des bistrots
Les deux journalistes ne sont pas là pour dire «non» aux personnes venues à leur rencontre. A quelques mois de la votation sur la redevance à 200 francs et le contre-projet à 300 francs du Conseil fédéral, ils veulent s’enquérir de ce que pensent les Romands de la RTS. Des journalistes de la SRF sont pareillement en mission outre-Sarine. Une opération baptisée «Beizentour» en allemand (le tour des bistrots), lancée cet été à la demande de la nouvelle directrice de la SSR, Susanne Wille.
L’heure des votes est venue. A la question: «Pensez-vous que le canton de Neuchâtel est bien représenté dans le traitement de l’actualité de la RTS?», les cartons bleus remplissent l’espace tels de petits drapeaux. C'est un «oui» massif. Le résultat est clairement positif aussi à cette autre question:
La question redoutée
On en vient au dessert: la RTS penche-t-elle à gauche? La question redoutée, tant cette réputation lui colle aux basques. Avant le vote, Pierre Bavaud cite une étude indiquant que le service public, sur une échelle allant de moins 100, tout à gauche, à plus 100, tout à droite, est placé à moins 3 par les sondés, quasi à l’équilibre, donc. Mais Fanny Zürcher renvoie à une autre étude, qui range les journalistes du service public, et non plus les émissions produites, en majorité à gauche.
Alors? La question posée est la suivante:
Voici les réponses:
- «A droite?» Zéro bulletin.
- «Equilibrée»?» Douze bulletins.
- «A gauche?» Huit bulletins
L’essentiel, pour la RTS, en organisant cette soirée, était de parler à son public. Et pour ce dernier, l'essentiel était d’être écouté avec respect. Sans trop risquer de se tromper, on peut affirmer que le but est atteint.
