L’été, c’est la saison de la randonnée. Ceux qui fuient la chaleur cherchent en montagne non seulement un peu de fraîcheur, mais espèrent parfois aussi apercevoir un bouquetin. Pour beaucoup, croiser le «roi des Alpes» est un moment magique. Pour d’autres, en revanche, cet animal n'est perçu que comme un trophée de chasse.
Cela avait conduit, au 19e siècle, à sa quasi-disparition. Aujourd’hui encore, la chasse au bouquetin reste un sujet sensible, surtout en Valais. Cet automne, après plusieurs années d’interdiction, les chasseurs venus de l’étranger ou d’autres cantons seront à nouveau autorisés à abattre des bouquetins. Les autres cantons, eux, misent sur une chasse effectuée par des locaux uniquement.
Le modèle valaisan a été récusé en 2019, à la suite d’un reportage de la télévision suisse romande: on y voyait de riches touristes étrangers partir en «safari au bouquetin» dans le canton alpin, parfois au mépris de toute éthique de chasse.
Certaines images montraient par exemple des cadavres de mâles abattus, abandonnés en montagne avec la tête tranchée. L’indignation des milieux écologistes a été immédiate, suivie d’une pétition recueillant 70 000 signatures. Le Conseil d’Etat valaisan a fini par interdire cette pratique dès 2021.
Cette année, le canton tente un nouveau départ, avec des règles d'encadrement renforcées. La chasse n’est plus organisée par des agences privées, mais directement par les autorités cantonales. Les candidats doivent détenir un permis de chasse et prouver leur précision au tir.
Un garde-faune accompagne les chasseurs non résidents lors de la traque et désigne l’animal à abattre. Contrairement à l’ancien système, le paiement est désormais effectué à l’avance, sans lien avec la longueur des cornes de l'animal, afin d’éviter de mauvais incitatifs.
A noter: les non-Valaisans n’ont accès qu’à une seule catégorie de bouquetins, celle des mâles âgés de plus de 11 ans, dont les cornes sont particulièrement imposantes. Prix par animal: 25 000 francs pour les étrangers, et moitié moins pour les chasseurs suisses non valaisans. Les Valaisans, eux, peuvent également chasser des animaux plus jeunes ou des femelles, à des tarifs plus abordables.
Cependant, les nouvelles conditions ne semblent pas dissuasives. Comme nous l’a indiqué le Service cantonal de la chasse, de la pêche et de la faune, seize personnes étrangères et treize venues d’autres cantons se sont inscrites ce printemps pour participer à la régulation des bouquetins. Cela peut sembler peu, mais, selon les autorités, l’intérêt reste comparable à celui des années précédentes.
La demande dépasse même l’offre. Seul un nombre limité d’animaux de cette espèce protégée peut être abattu. En 2025, le Valais prévoit d’abattre 624 bouquetins, mâles et femelles confondus, toutes classes d’âge comprises.
Parmi eux, 34 mâles de plus de 11 ans. Seize sont réservés aux chasseurs valaisans, onze aux étrangers et sept aux chasseurs suisses d’autres cantons. Un tirage au sort a désigné les heureux élus. L’Office fédéral de l’environnement doit encore approuver ces abattages. La demande est actuellement en cours d’examen.
A notre demande, le canton du Valais révèle qu’il s’attend en 2025 à des recettes de 460 000 francs issues des prélèvements réalisés par des chasseurs clients. Environ 60% de cette somme proviendra d'individus étrangers, soi des montants comparables à ceux enregistrés avant l’interdiction de 2021. Mais une question demeure: est-il légitime de monnayer le «roi des Alpes»?
Le canton estime que l’abattage des mâles de plus de 11 ans fait «partie intégrante» de la régulation du bouquetin. Celle-ci est d’autant plus nécessaire que le Valais a enregistré un record avec 7000 individus recensés. Il s’agit, selon les autorités, de limiter la concurrence avec d’autres espèces, comme le chamois et de réduire les dégâts aux forêts et aux cultures. C’est ce qu’écrivait le canton fin 2024, à l’occasion du retour des tirs commerciaux.
Brigitte Wolf, présidente de la Société valaisanne de biologie de la faune, estime quant à elle que la population pourrait être régulée sans viser spécifiquement les mâles de plus de onze ans:
Ce qui la dérange, ce n’est pas que des étrangers ou des non-Valaisans puissent désormais participer à la chasse au bouquetin. Ce qu’elle juge «éthiquement discutable», c’est que les plus beaux animaux soient vendus à prix d’or.
Wolf s’est longtemps engagée, notamment comme députée Verte au parlement cantonal en faveur de règles strictes pour la chasse. Aujourd’hui, elle appelle le canton à prendre ses responsabilités et à tout faire pour éviter que la situation «ne dérape à nouveau».
La biologiste voit plusieurs risques: un vieux mâle joue un rôle central dans la structure sociale d’un groupe. En l’absence du «chef», des luttes de pouvoir et une déstabilisation peuvent survenir au sein des groupes de bouquetins:
Par ailleurs, la chasse au bouquetin ne doit en aucun cas devenir une simple source de revenus pour le canton:
Elle demande donc de la transparence dans la mise en œuvre du modèle, son évaluation, et, si nécessaire, dans ses ajustements. Le canton répond à cela que tous les modèles de chasse font l’objet d’une évaluation annuelle, «afin de pouvoir corriger rapidement d’éventuels problèmes».