Lorsque le patron du café Le Simplon est arrivé pour ouvrir son commerce, ce mardi matin peu après 6h, il ne s'attendait pas à ce que la journée se passe de la sorte. Vers 7h15 du matin, des voitures de police débarquent subitement sur la petite place située directement sous la gare, et des agents posent des banderoles.
Bientôt, ce sont d'autres véhicules, les forces d'intervention de la police municipale lausannoise (GIPL) et cantonale vaudoise (DARD), les pompiers et des ambulances qui débarquent dans la zone. Que se passe-t-il? Toute la rue est bouclée autour d'un foyer de l'Etablissement vaudois d'accueil des migrants (EVAM).
Cette employée de blanchisserie, débarquée au travail à 7h, se voit indiquer par la police de rester dans le local arrière de son établissement et de s'éloigner des vitres, «au cas où des tirs auraient lieu». Dehors, un policier avec un fusil à lunette se déploie. Quant à ce coiffeur, qui tient un petit salon en face, il se voit interdit de se rendre dans son commerce. Que se passe-t-il dans le foyer de l'EVAM?
Lorsque j'arrive sur place vers 10h, les pompiers sont en train de déployer un énorme matelas sous les fenêtres du foyer.
Un suicidaire? Au deuxième étage, derrière une fenêtre, il y a de l'agitation et on entend une femme crier. Une prise d'otage? «Peut-être un requérant syrien qui a été débouté suite à la décision récente du SEM?», se demande-t-on dans la rue. Les rumeurs vont bon train.
Cette voisine, qui a tout vu depuis son appartement en face, décrit un homme et une femme agitée. Il lui semble que celui-ci veut sauter de la fenêtre, sa compagne devant le retenir à grand renfort de hurlements.
Entre deux cris, la rue est pourtant calme. Des groupes de pompiers sont présents dans les coins et quelques policiers bardés de jaune fluo tiennent la rue. Les membres des groupes d'intervention se font, eux, plus discrets. On en voit parfois quelques-uns sur le pas de la porte d'entrée, portant un gilet pare-balles et du matériel sur leur uniforme noir ou gris-vert, cagoulés ou portant un casque.
La rue n'a toutefois pas complètement été évacuée. Au café du Simplon, les curieux sont encore présents sur la terrasse ou dans l'établissement, comme à la brasserie des Trois Rois où se sont d'ailleurs réfugiés plusieurs employés de l'EVAM.
De l'autre côté de la rue, un camion-pompier à nacelle attend, moteur allumé. Au volant: un homme cagoulé.
Au terme de plusieurs heures de négociations, les deux individus se rendent à la police. Le matelas est dégonflé par les pompiers et les forces de l'ordre. Un policier d'intervention quitte l'immeuble, emportant avec lui un large bélier en métal.
Puis une ambulance s'avance jusqu'à la porte principale. Heureusement, ce n'est pas un brancard qui passe la porte, mais un homme qui tient sur ses deux pieds. Le forcené, une couverture thermique sur le dos, passe rapidement de la porte de l'établissement à celle de l'ambulance, entouré par une flopée d'agents. Sa compagne le suit de près.
Une fois les forcenés sur le départ, les pompiers et forces d'intervention prennent le large, ramenant leur matériel dans des voitures banalisées.
Les policiers sont les derniers à quitter la scène, vers 11h30.
Mais que s'est-il passé, exactement? Le porte-parole de la police vaudoise, Jean-Christophe Sauterel, cité par Keystone-ATS, explique que les deux personnes, de nationalité éthiopienne et dans la vingtaine, devaient être escortés par la police vers l'aéroport de Genève. Ils devaient être renvoyés vers la Roumanie, pays où ils ont été enregistré par le règlement Dublin.
Mais lorsque les agents arrivent dans la chambre au petit matin, ils se retrouvent face à un couple récalcitrant, armé de couteaux. L'homme et la femme se barricadent alors, avec tout le branle-bas de combat qui s'ensuit.
Grâce au négociateur de la police et d'une interprète, la situation sera toutefois rentrée dans l'ordre sans faire de blessés. Les deux personnes sont amenées à l'hôpital pour un contrôle — c'est la procédure.
Dans la rue du Simplon, peu avant midi et quelques minutes à peine après que les dernières motos de police aient pris le large, plusieurs migrants sortent de l'immeuble. Comme ce jeune, coupe courte et barbe bien taillée, qui peut enfin s'allumer une cigarette. «La police m'a dit de rester dans ma chambre. Ils sont arrivés dans les couloirs avec tout le matériel et des fusils», explique-t-il en anglais.
Le foyer était pourtant tranquille et n'était pas connu pour poser de problèmes. Une témoin se risque à une analyse: «Avant, ce centre était rempli de réfugiés de guerre ukrainiens, qui étaient très tranquilles. Maintenant, il y a de tout: des Géorgiens, des Turcs, des Soudanais...»
Il est midi et tout est rentré dans l'ordre, rue du Simplon. Les travailleurs du coin qui auront réservé dans un des deux cafés de la rue pour midi et n'auront pas regardé les infos du matin se seront peut-être attablés sans même savoir ce qui venait de se passer à quelques mètres d'eux.