Markus Ritter fut très peiné d’apprendre que ses deux fils ne pourraient pas faire l’armée. Lui, l’appointé canonnier, avait aimé son passage sous les drapeaux. Des problèmes de vue privèrent sa descendance mâle de cette expérience. Il avait plaidé la cause de son aîné auprès de Guy Parmelin, alors chef de Département fédéral de la défense. En vain. Pâtira-t-il de cette apparente demande de passe-droit révélée ces jours-ci, peau de banane sur le boulevard qui s'ouvre à lui?
Markus Ritter, 57 ans, sera peut-être le prochain ministre de l’armée et des sports. Opposé, dans le camp centriste, au conseiller d’Etat zougois Martin Pfister, de quatre ans plus âgé, le conseiller national saint-gallois, président de la puissante Union suisse des paysans (USP), est donné favori pour succéder à la Valaisanne Viola Amherd lors de la session parlementaire de mars.
Parti le premier dans la course, à vrai dire longtemps sans concurrent, l’agriculteur d’Altstätten s’est annoncé comme l’homme de la situation, taillé pour la Défense, la désirant, sachant ce qu’il faudrait y faire, bref, s’y voyant déjà. Du Ritter tout craché. Fidèle à sa devise, «Schnell frisst langsam», rapportée dans la Neue Zürcher Zeitung par ceux qui le connaissent sans toujours l'apprécier. Alors, les rapides bouffent les lents? Réponse dans un mois.
Markus et Heidi Ritter, eux-mêmes d’ascendance paysanne, ont trois enfants: les deux fils ont repris le domaine agricole, la fille a fait un apprentissage d’employée de banque. Une famille modèle dans un paysage modèle. Chez le père, des ambitions politiques à faire déborder le Rhin tout proche. Pour canaliser cette ardeur, un parti, le seul à l'horizon à l'époque de ses débuts, le PDC, devenu Le Centre. S’y faire un nom est d’autant plus difficile.
Markus Ritter y parvient aisément. En 1992, à 25 ans, il est élu à l’exécutif d’Altstätten, une ville de 12 000 habitants avec ses maisons à colombages, typiques de la Suisse orientale. Il s’était présenté crânement dans le journal local, sa jeune existence résumée dans ses états de service: agriculteur, actuaire, maître de tir dans une société de tir, responsable d’un registre d'élevage, sergent des pompiers d'Altstätten et appointé canonnier à l’armée. En ce temps-là, Werner, son seul frère, un avocat, qui mourra des suites d’une longue maladie à 58 ans, en 2023, était plus connu que lui dans la région.
Attiré par le pouvoir, Markus Ritter est «un type intelligent». Il s’impose par la force face aux siens, par le dialogue face à ses adversaires. Conseiller municipal, il tient d’une main de fer la commission des constructions, son dada. Un proche cité par la NZZ dit de lui:
Il finit par insupporter. En 2008, ses collègues le démettent de son poste de vice-président du Conseil municipal – cette décision ne sera jamais officiellement notifiée.
Ayant échoué deux fois à se faire élire conseiller national, il y réussit en 2011, siégeant depuis sous la coupole fédérale. Un an après son arrivée à Berne, il succède à un UDC à la présidence de l’USP, premier agriculteur bio à ce poste.
Markus Ritter aurait pu en rester là. Tout plein de son pouvoir de patron du lobby paysan, l’un des plus influents du pays. Il tend à présent les bras au Conseil fédéral, plus précisément, au Département de la défense, l’un des passages obligés des impétrants avec Justice et Police. Prudent, il couche sur le statu quo face à l’Otan, prononce la profession de foi sur la neutralité. Connu, respecté, craint aussi sans doute, Markus Ritter a tout du favori. Traduction: rien n’est joué. Chacun connaît le proverbe vaticanesque: «Qui entre pape au conclave, en sort cardinal.»
Puisqu'on est dans la religion, restons-y. Nos confrères de la RTS ont réalisé un podcast sur l’engagement religieux du catholique saint-gallois. Il y est dépeint en «croyant traditionnaliste», tenant «les paysans pour plus proches de Dieu que le reste de la population». Il a des liens avec une Eglise évangélique à qui il demande régulièrement des prières. En 2019, à Winthertour, il s’était adressé à 800 paysans venus l’écouter religieusement.
Dernièrement, il s’est rendu au Flüeli-Ranft, l’ermitage du saint-patron de la Suisse, Nicolas de Flue, pour lui demander si sa décision de briguer un siège de conseiller fédéral était justifiée. Certains verront dans ce face-à-face avec le Très Haut et ses saints une forme de mégalomanie. D’autres, un gage d’humilité.
Interrogé par la RTS, Markus Ritter assure n’être ni un gourou, ni sous la coupe de croyants. Sur des positions conservatrices minoritaires en Suisse, il s’est opposé à la dépénalisation de l’avortement, a refusé d’interdire les thérapies de conversion et voté blanc sur le mariage pour tous.
Le conseiller national genevois Vincent Maître, élu du Centre comme le Saint-Gallois, affirme découvrir la dimension religieuse de Markus Ritter.
La messe est dite?