En février, le site d’extrême gauche Renversé publiait un «appel à mettre le feu aux concessions Tesla», assorti d’un mode d’emploi pour la fabrication de cocktails Molotov, avait révélé watson. Ce 15 juin, le même site, proche d'une partie de la scène alternative genevoise, reproduit un long texte d’un certain Khaled Barakat, coordinateur international de Samidoun, un réseau propalestinien interdit en Allemagne pour «antisémitisme et extrémisme», mais pas en Suisse à notre connaissance.
Dans ce texte traduit de l’anglais, paru la première fois le 29 mai sur le site arabophone libanais Al-Akhbar, Khaled Barakat affirme que l’«opération» menée le 21 mai au Musée juif de Washington est une «réponse naturelle et légitime (...) à la guerre génocidaire menée par l’entité sioniste contre la bande de Gaza depuis plus de vingt mois».
Ce jour-là, un homme et une femme, employés de l'ambassade d'Israël aux Etats-Unis, sont tombés sous les balles d’un Américain de 31 ans, Elias Rodriguez. Au moment de son forfait, le suspect a crié «Free, free Palestine!». Savait-il que ses futures victimes travaillaient à l'ambassade d'Israël ou les a-t-il tuées parce qu'il les présumait juives sans plus d'indications à leur sujet? L'instruction judiciaire apportera peut-être la réponse.
Dans son texte repris par Renversé, Khaled Barakat qualifie d’«héroïque» l’action du tueur, auquel il décerne le titre de «fedayin», soit le nom donné dans les années 1970 aux combattants palestiniens, dont beaucoup furent impliqués dans des actions terroristes, du Fatah de Yasser Arafat au FPLP de Georges Habache, avec le soutien d'une partie de l'extrême gauche occidentale.
Empruntant à la rhétorique nationaliste de la libération des peuples, dressant des parallèles entre le combat contre l’«entité sioniste», autrement dit Israël, et les luttes algérienne, vietnamienne, sud-africaine ou encore irlandaise, Khaled Barakat semble appeler de ses vœux l’élargissement de l'action violente à la scène internationale.
Il écrit: «La bataille d’aujourd’hui ne se limite pas à Gaza ou à la Cisjordanie, mais inclut également la diaspora. L’opération de Rodriguez représente donc un cri face au système américain et un message selon lequel la résistance n’est pas l’apanage d’une géographie, d’une race ou d’une couleur, mais une affiliation, une identité et une position éthique et politique qui ne tolère aucun compromis.»
Il termine par un hommage au meurtrier de Washington:
Ce texte, dans lequel les termes «musée juif de Washington» et «ambassade d’Israël» n’apparaissent pas, du moins pas dans la version française, pas plus qu’il n’est fait mention des victimes et de leur identité juive, constitue-t-il un appel à la violence et à la haine?
Joint par watson, l’avocat genevois Charles Poncet ne l’exclut pas. Il renvoie aux articles 259 et 261 bis (la norme antiraciste) du Code pénal. Selon lui, et pour autant qu’il y ait infraction à la loi, c’est le site publiant ce texte qui est en faute, son auteur ne résidant a priori pas en Suisse. «En reproduisant un tel contenu, les animateurs du site Renversé sont susceptibles de commettre un délit», affirme Me Poncet. L'avocat ajoute:
Contacté par watson sur ce point de droit, Renversé, la plateforme qui a publié le texte en question, n’avait pas donné suite à nos sollicitations au moment de la publication du présent article.
Chargé de cours au Global Studies Institute de l’Université de Genève, Frédéric Esposito, spécialiste des radicalités, voit dans «le texte publié par Renversé une rhétorique qui fait référence aux éléments de langage de la lutte palestinienne des années 1970». Le chercheur poursuit:
Pour Frédéric Esposito, «ce texte (celui paru sur le site Renversé), qui légitime l'action violente, n'est pas sans rappeler au nom de quoi Mohamed Merah avait tué des militaires français et des enfants juifs en 2012 à Toulouse et Montauban. Le terroriste disait vouloir punir la France pour son engagement militaire en Afghanistan et venger des enfants palestiniens tués par l'armée israélienne.» On avait vu le résultat.