La mort du leader de l'opposition russe Alexeï Navalny vendredi 16 février a suscité l'émotion internationale. Tandis qu'en Occident, des hommes politiques et des personnalités ont exprimé leur consternation et envoyé des critiques en direction de Vladimir Poutine, de nombreuses voix russes éminentes sont restées muettes. L'une des rares exceptions a été l'ancien champion du monde d'échecs soviétique Garri Kasparov, qui est depuis longtemps l'un des détracteurs les plus bruyants de Poutine, et Daria Kasatkina.
Daria Kasatkina, reposting from Navalny’s widow, remains the bravest voice in tennis right now. pic.twitter.com/xBYNX45q31
— Ben Rothenberg (@BenRothenberg) February 19, 2024
La joueuse de tennis russe a exprimé son soutien à la veuve de Navalny, Ioulia Navalnaïa, sur les réseaux sociaux, devenant ainsi l'une des voix russes les plus en vue à s'opposer à Poutine.
Daria, dite Dasha, Kasatkina est la meilleure joueuse de tennis de Russie. Actuellement, la jeune femme de 26 ans est numéro 12 mondiale et a déjà remporté six titres WTA au cours de sa carrière. Elle est née en 1997 à Toljatti, à environ 800 kilomètres au sud-est de Moscou. Autrefois florissante grâce aux usines automobiles Lada, la ville a été plongée dans la crise après l'effondrement de l'Union soviétique en raison de la criminalité et des problèmes de drogue. Kasatkina est venue au tennis par l'intermédiaire de son frère aîné. Lorsqu'elle avait douze ans, ses parents ont vendu leur maison à Toljatti pour pouvoir soutenir la carrière de leur fille dans le tennis.
Les rêves de Dasha se sont réalisés. En 2013, elle est devenue une joueuse de tennis professionnelle. Elle n'a plus quitté le top 30 du classement mondial depuis 2021 et s'est même souvent classée parmi les dix meilleures au classement WTA. Elle est l'une des meilleures joueuses de tennis du monde et donc extrêmement connue en Russie, où ce sport est très populaire.
Kasatkina utilise sa célébrité pour attirer l'attention sur des sujets qui la préoccupent. Au cours de l'été 2022, elle a notamment évoqué la guerre en Ukraine dans une interview avec le YouTuber russe Witjia Kravtschenko. Elle l'a qualifiée de «cauchemar à grande échelle» et a déclaré qu'elle ne souhaitait rien d'autre que l'arrêt immédiat des combats.
Au cours du même entretien, la Russe a aussi révélé son homosexualité. Elle a rendu publique sa relation avec la patineuse artistique russo-estonienne Natalja Sabijako.
La joueuse de tennis ne voulait plus se cacher. Elle a décrit les années où elle l'avait dû le faire comme la période la plus difficile de sa vie. Sa carrière en avait souffert: «Je voulais arrêter, je n'avais plus d'énergie et je ne pouvais pas sortir du lit». Ce n'est que lorsqu'elle a demandé une aide psychologique que Kasatkina a compris ce qu'elle devait faire:
C'est aussi la motivation derrière son soutien public à l'Ukraine. La Russe a expliqué qu'elle voulait pouvoir se regarder dans le miroir sans avoir honte. Elle éprouve une grande compassion pour les joueurs ukrainiens sur le circuit, car leur patrie est de plus en plus détruite: «Je sais combien il est important d'avoir une maison. Un endroit où il n'est pas important que tu joues du tennis de merde ou que tu viennes de te séparer de ton copain ou de ta copine.»
Ironiquement, ses déclarations ont fait en sorte que Kasatkina soit elle aussi quasiment sans domicile fixe. En tant que femme publiquement lesbienne et critique de la guerre, un retour en Russie est exclu. Lorsqu'elle ne voyage pas de tournoi en tournoi, la jeune femme de 26 ans et sa compagne sont désormais installées à Barcelone et à Dubaï.
Un politicien russe voulait même lui donner officiellement le statut d'«agent étranger», afin qu'elle soit poursuivie par le gouvernement. Son agent John Morris pense que la joueuse de tennis est en sécurité en dehors de la Russie. Néanmoins, son équipe veille à ne pas réserver de vols qui s'approchent trop près de l'espace aérien russe.
Kasatkina était également consciente de ce que cette décision signifiait:
Ce qui l'inquiétait le plus, c'était ses parents, qui n'avaient pas voulu quitter la Russie en raison de leur âge avancé et de leur manque de connaissances linguistiques, et qui y vivent toujours. «Mais ils vont bien et ils sont fiers de moi», a confié la numéro 12 mondiale, ajoutant: «Si cela signifie que je dois sacrifier ma maison pour être une bonne personne, alors c'est mon choix».
La Russe ressent en partie les effets négatifs de la guerre sans en être responsable, notamment lorsqu'elle rencontre des Ukrainiennes. En fait, elle ne participe plus aux tournois en tant que Russe depuis longtemps. Après l'invasion de l'Ukraine, le circuit WTA a décidé que les joueuses de Russie et de Biélorussie ne pourraient continuer à jouer que sous drapeau neutre. Avant le début de la saison actuelle, Kasatkina a déclaré en plaisantant: «Je pourrais demander à la WTA si je peux jouer sous le drapeau arc-en-ciel».
Malgré cela, les Ukrainiennes refusent en bloc de serrer la main de leurs adversaires russes après le match, afin de montrer l'exemple. Kasatkina a fait preuve de compréhension:
Pourtant, après sa défaite en huitième de finale contre l'Ukrainienne Elina Svitolina à Roland-Garros l'année dernière, elle a été huée par le public parisien lorsqu'elle a pris congé sans serrer la main.
Heureusement, la Russe a découvert quelques semaines plus tard à Eastbourne que son message était entendu. Lors du tournoi sur gazon dans le sud de l'Angleterre, elle a été arrêtée par un fan ukrainien. Cette fois-ci, il n'y a pas eu de confrontation, mais des remerciements, une demande de photo et, à la fin, une longue accolade entre Kasatkina et le fan.
La joueuse de tennis ne cesse de souligner le nombre de réactions positives qu'elle a reçues depuis l'été 2022 - à propos de ses déclarations sur la Russie, mais aussi de son coming-out. La jeune femme de 26 ans n'a désormais plus peur de faire connaître son opinion.
Sur YouTube, elle produit avec sa partenaire des vidéos hebdomadaires dans lesquelles elle fait découvrir aux spectateurs les coulisses du circuit de tennis, avec ses côtés lumineux et ses côtés sombres. Kasatkina critique haut et fort les circuits WTA et ATP pour la programmation des matches lors de certains tournois, ce qui a pour conséquence que les joueurs sont parfois encore en action à trois heures du matin. Elle s'interroge aussi sur le fait que la star de l'ATP Alexander Zverev continue d'être propulsée par l'ATP alors qu'il est en procès en Allemagne pour des accusations de violences domestiques.
Et Daria Kasatkina continuera d'utiliser sa popularité pour attirer l'attention sur les horreurs de la guerre en Ukraine et les abus en Russie:
Traduit et adapté par Chiara Lecca