Pourquoi la BNS prend une décision de crise
La décision de la Banque nationale suisse n’a pas été une surprise. Son président, Martin Schlegel, a annoncé jeudi maintenir le taux directeur à 0%. Il n’avait aucune raison de l’abaisser. L’inflation est certes faible, mais pas plus qu’au moment de la dernière décision de la BNS.
Malgré les droits de douane de 39% imposés par le président américain Donald Trump, l’économie progresse lentement. En somme, tout semble tranquille chez les banques et sur les marchés.
Reste que le taux directeur de la BNS affiche bien 0,00%. Il s'agit là du niveau le plus bas au monde, et qui ne va guère de paire avec cette apparente stabilité.
Un tel chiffre ne peut se justifier qu’en cas de crise grave, et jamais la Suisse n’avait connu de taux directeurs aussi bas en période de stabilité. Même avant la crise financière mondiale de 2008, la crise de l’euro qui a suivie, même en récession, les taux directeurs n’ont jamais atteint un niveau aussi bas.
Et il ne s’agit pas seulement des taux directeurs. Les rendements des obligations d’Etat à 2 ans sont négatifs depuis ce printemps, ceux à 5 ans le sont depuis la mi-septembre. Quant aux emprunts à 10 ans, leurs taux continuent de reculer, et sont récemment tombés à seulement 0,2%. On assiste à des taux de crise dans un contexte paisible.
Comment la Suisse en est-elle arrivée là?
Une récente étude des économistes de la Banque nationale apporte des éléments de réponse. La chute des taux d’intérêt s’explique par trois tendances mondiales. Combinées, elles ont donné naissance à ce que l’ancien président de la Réserve fédérale américaine, Ben Bernanke, qualifiait «d’excès d’épargne». Cet afflux d’épargne a fait baisser son prix, autrement dit les taux.
Ces trois tendances 👇
- L’économie mondiale génère moins de croissance qu’autrefois. Les projets d’investissement rentables se raréfient et, faute d’opportunités, l’épargne est moins demandée.
- L'évolution démographique a accru l’offre d’épargne, car davantage de personnes vivent plus longtemps et mettent de côté pour leur retraite.
- Les investisseurs recherchent aujourd’hui plus de sécurité qu’auparavant, et orientent davantage leur épargne vers des valeurs refuges, comme en Suisse.
Cet excès mondial d’épargne touche donc particulièrement le pays, où les taux d’intérêt sont exceptionnellement bas par rapport aux standards internationaux.
La question est désormais la suivante: si la Suisse affiche déjà des taux directeurs aussi bas en période de stabilité, que se passera-t-il lors de la prochaine récession?
L’étude de la BNS avance une première réponse: il y aura probablement des taux négatifs bientôt. Et il se pourrait aussi que ces taux négatifs ne soient pas encore assez bas pour soutenir efficacement l’économie.
L’excès d’épargne a aussi entraîné une baisse du taux d’équilibre en Suisse. Selon l’étude, il atteignait encore 2% au milieu des années 1980, contre 0% aujourd’hui. Dans l’univers des taux, il s’agit d’un bouleversement majeur.
Conséquence, en cas de récession, la BNS devrait fixer son taux d'intérêt nominal de manière à ce qu’une fois corrigé avec l’inflation, le taux réel passe sous zéro, c’est-à-dire en dessous du taux d’équilibre.
Il s'agit là de la seule façon de stimuler l’économie. Si le taux réel est à 0, la BNS ne freine ni ne soutient la conjoncture. Au-dessus de zéro, elle la ralentit.
Mais cela va s'avérer difficile. L’inflation est déjà très faible, il n’y aurait donc pratiquement plus rien à retrancher du taux nominal pour faire passer le taux réel sous la barre du zéro. En cas de récession, l’inflation serait nulle, voire négative.
Les épargnants risquent d'en avoir marre
A un moment donné, les épargnants n’accepteront plus cette situation, et le taux d’intérêt négatif va finir par devenir insupportable. Plutôt que de laisser leur argent à la banque et subir une ponction constante, ils vont le garder dans des coffres-forts, sous les matelas ou à la cave.
A partir de là, le mécanisme des taux négatifs perdrait toute efficacité. On ignore où se situe exactement ce seuil, mais une chose est certaine, c'est qu'avec un taux d’équilibre aussi bas, le risque que la BNS se heurte à cette limite est plus élevé.
Il lui resterait alors la possibilité d’affaiblir le franc, afin de stimuler l’inflation. Mais souhaite-t-elle vraiment gonfler encore son bilan déjà immense par de nouveaux achats de devises étrangères?
La BNS a déjà du mal à placer son argent de manière pertinente. Comme le rapporte le Financial Times, elle figure déjà parmi les plus grands investisseurs de la Silicon Valley, avec 42,6 milliards de dollars investis chez des géants comme Apple, Nvidia ou Amazon. Au total, la Banque nationale a investi quelque 167 milliards de dollards aux Etats-Unis.
Traduit de l'allemand et adapté par Joel Espi