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Que manque-t-il aux Iraniennes pour provoquer une révolution?

FILE - Kurdish women activists hold headscarfs and a portrait of Iranian woman Mahsa Amini, with Arabic that reads, "The woman is life, don't kill the life," during a protest against he ...
Sur les réseaux, le hashtag #MahsaAmini s'est mué en un symbole d'indignation.Image: sda

Que manque-t-il aux Iraniennes pour provoquer une révolution?

Après la mort de la jeune femme iranienne Mahsa Amini, arrêtée pour sa tenue vestimentaire jugée incorrecte, les révoltes se multiplient en Iran. Et d'aucuns évoquent la possibilité d'un «Printemps perse». Mais, de façon réaliste, quels éléments sont nécessaires à l'éclosion - et la réussite - d'une révolution? Interview.
24.09.2022, 16:0623.02.2024, 09:52
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En 2011 éclatait ce qu'on appelle le «Printemps arabe», à savoir des contestations populaires qui ont démarré en Tunisie en 2010, et qui se sont propagées dans divers pays du Maghreb et du Moyen-Orient.

Certaines contestations ont abouti à un changement de régime, d'autres ont été réprimées dans le sang, comme en Syrie.

En Iran, depuis la mort de Mahsa Amini pour un voile non ajusté, les révoltes se multiplient. Dans la rue, une partie de la population réclame une réforme du régime. Ces mobilisations ne sont pas sans rappeler le phénomène qui a conduit au «Printemps arabe».

Pour rappel, l'Iran repose sur un régime conservateur mis en place en 1979 dans le sillage de la Révolution islamique. Le système combine pouvoir du guide de la révolution et pluralisme électoral limité. Le guide suprême, Ali Khamenei, âgé de 83 ans, joue un rôle de premier plan dans la République islamique iranienne. Et, comme mis en lumière par le site du journal Le Monde, l’élection à la présidence d’Ebrahim Raïssi, en juin 2021, a renforcé l’oppression des Iraniennes.

Au regard d'un tel contexte, quels éléments doivent être réunis pour qu'une véritable révolution iranienne se mette en place? Pour Mounia Bennani-Chraïbi, professeure en politique comparée à l’Institut d’études politiques de l’Université de Lausanne, la réponse n'est pas si simple. Interview.

Mounia Bennani-Chraïbi est professeure en politique comparée à l’Institut d’études politiques de l’Université de Lausanne. Elle a entre autres travaillé sur les soulèvements arabes de 2011.
Mounia Bennani-Chraïbi est professeure en politique comparée à l’Institut d’études politiques de l’Université de Lausanne. Elle a entre autres travaillé sur les soulèvements arabes de 2011.

Quel lien peut-on faire entre les protestations actuelles en Iran et le Printemps arabe? Les conditions d’un Printemps perse sont-elles réunies?
Mounia Bennani-Chraïbi: Pour mener une comparaison en bonne et due forme, il faut du recul et des enquêtes approfondies. Par ailleurs, gardons en tête que ce n’est pas la première fois que l’Iran observe de larges mouvements de protestation. Mais, effectivement, on peut dire à chaud que l’indignation suscitée par la mort de Masha Amini après son arrestation par la police des mœurs présente un air de famille avec d’autres situations.

Je fais allusion à l’immolation en décembre 2010 de Mohamed Bouazizi, un vendeur ambulant. Cet acte désespéré aurait déclenché la révolution tunisienne. Je pense aussi à Khaled Saïd, battu à mort par la police égyptienne à la suite de son arrestation dans un cybercafé.

La campagne de mobilisation qui a suivi cet assassinat aurait été l’un des moments fondateurs de la révolution égyptienne. Ces cas ont des points communs: le décès survient à la suite d’une confrontation avec la police; la victime est un citoyen ou une citoyenne ordinaire, jeune, qui a subi une violence policière en lien avec un acte ou une activité ordinaire; des images se diffusent de manière virale à travers les réseaux sociaux; de larges mouvements d’indignation se produisent.

«Pour autant, tout cela ne suffit pas à déclencher un changement de régime politique»

Sans compter que tous les décès faisant suite à des violences policières ne sont pas médiatisés et toutes les violences dévoilées ne donnent pas lieu à des protestations.

Les hommes soutiennent-ils également ces contestations?
Le mouvement de protestation qui agite l’Iran semble se diffuser bien au-delà des femmes. Je dirais même au-delà des grandes villes, d’une région (le Kurdistan d’où la jeune femme est originaire), ou d’une catégorie sociale en particulier.

Justement, les autorités commencent à s’inquiéter lorsqu’un nombre significatif de personnes sortent dans les rues, lorsque ces mobilisations rapprochent des gens en dépit de leurs différences (âge, genre, classe sociale, ethnie, rapport au politique, rapport au religieux, etc.), ce qui semble être le cas pour les protestations actuelles (à l’opposé des mobilisations que l’Iran a connues en 2009, en 2017 ou en 2019).

Bien plus, la peur change de camp lorsque ces autorités ne parviennent pas à stopper la mobilisation que ce soit en réprimant ou en faisant des concessions. Reste à savoir ce qu’il va advenir de ce nouvel épisode protestataire.

Quelles sont les conditions qui avaient mené au «succès» de la contestation populaire en Tunisie et en Egypte?
Au regard de la phase contre-révolutionnaire que traversent ces pays, c’est difficile de parler en termes de «succès».

Ceci dit, il y a une douzaine d’années, la Tunisie et l’Egypte ont bien connu des situations révolutionnaires. Cela s’est traduit par une remise en cause du pouvoir en place, par des mobilisations de grande ampleur, et par l’incapacité ou l’absence de volonté des détenteurs du pouvoir à y mettre fin.

Bien davantage, ces processus ont débouché sur l’éviction de dirigeants qui paraissaient jusque-là comme indéboulonnables.

«Reste à souligner que le sentiment d’injustice, la colère ou la frustration ne suffisent pas à déclencher une révolution»

Ce phénomène est plutôt rare et imprévisible. On peut cependant identifier des propriétés communes aux dynamiques révolutionnaires. Je vais en évoquer quelques-unes:

  • La formation de larges coalitions, c’est-à-dire la mobilisation d’un nombre significatif de personnes autour d’une même cause et ce, en dépit de tout ce qui les sépare.
  • La division des détenteurs du pouvoir. Le fait que ces protestations divisent les gouvernants ou l’appareil répressif peut se traduire entre autres par des défections, par le refus d’unités de police ou de l’armée de tirer sur la foule ou de continuer à le faire.
  • La diffusion de l'incertitude, une autre caractéristique majeure des situations révolutionnaires. Du coup, les différents protagonistes cessent de calculer comme ils calculent d’habitude.

Il faut donc qu'une énorme quantité d'éléments soient réunis pour «faire révolution»...
Oui. Sans compter que plusieurs facteurs peuvent faciliter des processus comme la formation de larges coalitions ou la division au cœur de l’Etat, notamment:

  • Un pouvoir exclusif. A titre d’exemple, plus le régime en place est exclusif, plus il recourt à la répression de manière indiscriminée, plus il concentre les griefs. Or, dans la phase actuelle que traverse l’Iran, on peut considérer que les pouvoirs sont concentrés entre les mains des conservateurs.
  • Une grande homogénéité sociale (confessionnelle, ethnique). Ce facteur favoriserait l’extension d’une mobilisation. Dans le cas iranien, on peut faire l’hypothèse que la société a connu une relative homogénéisation en dépit des différences ethniques qui la caractérisent. En plus, toutes sortes d’Iraniens et d'Iraniennes peuvent s’identifier ou identifier leur sœur ou leur fille à Mahsa Amini.
  • Une armée peu politisée. Plus l’armée est homogène et professionnalisée, moins ses intérêts sont intriqués avec ceux du régime, moins elle serait disposée à réprimer une mobilisation massive, non violente, et sociologiquement représentative de la nation. Reste à savoir ce qu’il en est dans le cas de l’Iran.
  • La gestion de la crise. Je fais référence aux formes et à l’intensité que prend la répression. Des réactions tardives et désajustées contribuent à amplifier la mobilisation. A ce stade, l’heure est aux interrogations. J'en formulerai deux en particulier: si la mobilisation continue à s’amplifier, est-ce que les détenteurs du pouvoir en Iran parviendront à rester unis? Est-ce qu’ils seront disposés à faire couler autant de sang que nécessaire pour stopper cette contestation qui semble toucher de plus larges pans de la société que lors des dernières mobilisations?

Quelles sont les situations qui amènent à l’échec d’une révolution? Je pense à la Syrie, Libye, Bahreïn?
Outre les facteurs que j’ai déjà évoqués, je voudrais insister sur d’autres points.

«D’une part, les gouvernants des régimes autoritaires apprennent des erreurs commises par leurs homologues ailleurs»

D’autre part, il faut prendre en compte le degré d’intervention de forces externes dans le conflit et les ressources externes qu’un régime parvient à mobiliser.

«A cet égard, l’exemple syrien est éloquent. Le régime de Bachar Al-Assad n’aurait pas survécu sans le soutien massif de la Russie, de l’Iran et d’autres forces encore»

Il n’aurait pas survécu non plus sans une détermination imperturbable à massacrer une partie de la population… en toute impunité.

Après une révolution, en général, cela amène-t-il réellement à un «mieux»?
Comme l’a fait remarquer le philosophe Gilles Deleuze, les révolutions tendent à tourner mal. Pour autant, ça n’a jamais empêché des révolutions de survenir et des gens de devenir révolutionnaires.

Les réseaux sociaux avaient joué un énorme rôle en 2010. L’Iran a largement coupé internet pour éviter que les vidéos et news ne se propagent trop vite. Quel impact auront les réseaux sociaux dans notre cas?
L’impact des réseaux sociaux sur les mobilisations a fait couler beaucoup d’encre. Les plus utopiques considèrent que les nouvelles technologies ont changé les règles du jeu. Elles permettent de contourner la censure et de se coordonner. Elles démocratisent la production et la diffusion instantanées de l’information, etc.

«En revanche, les plus sceptiques ont largement démystifié leur pouvoir libérateur»

Ils relèvent entre autres que les régimes autoritaires ont investi beaucoup de ressources dans ces technologies pour diffuser leurs propres récits, pour surveiller, disqualifier ou réprimer leurs challengers. Une chose est sûre, les technologies sont avant tout des instruments ; elles ne suffisent ni à faire ni à défaire les protestations.

#justiceformasha: colère sur les réseaux après la mort de Masha Amini
Video: watson
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Attentat de Moscou: «Le but est d'établir un califat mondial»
Spécialiste des mouvements islamistes radicaux d'Asie centrale, David Gaüzère explique comment est apparu et comment fonctionne aujourd'hui l'Etat islamique au Khorassan, qui a revendiqué l'attaque terroriste de Moscou.

Vladimir Poutine a fini par reconnaître que les auteurs présumés de l’attentat de Moscou, qui a fait 137 morts et 180 blessés, étaient des «islamistes radicaux». Comment expliquez-vous ce revirement dans ses déclarations?
David Gaüzère: D’une part, l’accusation visant l’Ukraine, qui est aussi grotesque que logique, car malheureusement de bonne guerre, n’était pas crédible. Vladimir Poutine avait beau la mettre en avant au début, il a vu que l’ensemble de la communauté internationale n’y croyait pas et qu’il valait mieux, pour revenir à plus de crédibilité, se ranger à l’avis général non-complotiste, qui exonère l’Ukraine, du moins ses autorités, de toute responsabilité de l’attentat de Moscou.

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