Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, un concessionnaire automobile était au désespoir. Ce Néerlandais de 43 ans, nommé Bernardus Pon, vend alors des véhicules Volkswagen en qualité d’importateur général. Or, après l’occupation nazie, les Pays-Bas rejetaient en masse tout ce qui venait d’Allemagne. Il va sans dire que dans ce contexte, le commerce de voitures allemandes n’était pas une mince affaire!
Notre homme décida de miser sur l’innovation: il imagina un véhicule de transport simple, avec une carrosserie en forme de boîte, qui se voulait aussi robuste qu’une VW Coccinelle et était équipé d’un moteur arrière. Après avoir visité l’usine VW à Wolfsburg en 1947, Ben Pon s’empara d’une plume et réalisa une esquisse sommaire. Ainsi naquit le Volkswagen Transporter, plus communément appelé minibus ou combi VW, qui sera produit à des millions d’exemplaires.
L’esquisse, griffonnée dans un cahier de notes, se trouve aujourd’hui dans le fameux Rijksmuseum à Amsterdam. Elle marque le début d’une incroyable histoire à succès. Son auteur entretenait un rapport particulier avec la Suisse, sur lequel nous reviendrons plus tard.
Le VW T1, modèle original inspiré par le prototype du Néerlandais, est produit en 1950. Et le triomphe est au rendez-vous. Il faut dire que pendant le Wirtschaftswunder, période d’essor économique en Allemagne de l’Ouest, le minibus VW constitue une solution toute trouvée pour nombre d’artisans et petits commerçants en quête d’un fourgon qui ferait aussi office d’atelier.
Le succès est tel qu’à peine quatre ans plus tard, le 100 000e minibus VW sort des chaînes de production. Le «Bulli», comme on l’appelle en Allemagne, jouit aujourd’hui encore d’une grande popularité en tant qu’utilitaire, véhicule familial, camping-car ou van hippie. Le minibus VW a été élevé au rang de véhicule culte et compte d’innombrables fans à travers le monde.
Mais revenons à Ben Pon. Après ce succès fulgurant, cet homme plein d’idées, à qui l’on doit également l’introduction de la VW Coccinelle en Amérique, aimerait souffler un peu. Il loue dès 1957 un appartement de vacances en Suisse, plus précisément près d’Oberhalten, à Walchwil dans le canton de Zoug. Ben Pon a un véritable coup de cœur pour ces lieux qui, grâce à une exposition particulière, voient pousser des figuiers et des palmiers.
Il décide d’y acheter ou faire construire une maison. A la table des habitués du Sternen, le Néerlandais fait part de son souhait au personnel du restaurant. Le patron l’envoie alors chez Thomas Hürlimann-Luthiger, gérant du magasin de chauffage et de sanitaires Schmitte, fontainier et conseiller communal.
Les événements s’enchaînent alors rapidement: Ben Pon achète un terrain à Engelmatt et y fait construire une villa par un certain Thomas Hürlimann. Le riche entrepreneur se met à séjourner régulièrement au bord du lac de Zoug. En 1963, la commune de Walchwil inaugure une nouvelle école primaire à proximité de la propriété du Néerlandais. Celui-ci décide alors de faire un geste pour les Walchwilois, et offre à chaque élève de l’établissement un livret d’épargne crédité de dix francs.
Même les plus jeunes écoliers ont droit au cadeau. Le magazine en ligne Zentralplus a retrouvé la trace de certains de ces enfants, comme Monika Senn, qui se remémore l’épisode:
Car si la commune de Walchwil attire aujourd’hui les étrangers fortunés en quête d’avantages fiscaux, ce n’était pas encore le cas dans les années 1960. Autant dire que la générosité du Néerlandais a fait sensation dans cet ancien village agricole.
Mais l’histoire du riche donateur ne s’arrête pas là. En effet, Ben Pon, impressionné par le travail qu’a accompli Thomas Hürlimann pour mener à bien l’achat de son terrain et la construction de sa villa, décide d’en faire son associé. En 1964, les deux entrepreneurs fondent l’entreprise immobilière Bentom AG, dont le nom se base sur la première syllabe de leurs prénoms. Ils feront construire de nombreux bâtiments et appartements dans les cantons de Zoug et de Lucerne.
Ben Pon décède en 1968. Son fils préside le conseil d’administration de Bentom à Walchwil jusqu’en 1971. Aujourd’hui encore, l’entreprise immobilière poursuit une activité prospère dans les meilleures zones résidentielles de Suisse. Les garages souterrains des luxueuses habitations Bentom abritent rarement des véhicules de la marque VW, mais plutôt des Porsche. Qui, soit dit en passant, appartiennent aussi au groupe Volkswagen...