Le cauchemar de Donald Trump prépare sa revanche
Le 29 octobre 2024, un humoriste de droite cassait l’ambiance au Madison Square Garden, où 20 000 sympathisants de Donald Trump étaient venus fêter sa probable victoire avec quelques jours d’avance. Tony Hinchcliffe, au beau milieu du meeting, s’était risqué à traiter Porto Rico d’«île flottante de déchets». Cette comparaison avait soulevé un vent de panique au sein du clan MAGA, conscient que l’électorat latino, un cinquième des bulletins de vote aux Etats-Unis, était un objectif majeur du candidat républicain.
Dans la foulée et gorgé de colère, le patron du reggaeton mondial postera une vidéo de Kamala Harris sur ses réseaux sociaux. Certes, la vice-présidente attendait depuis longtemps ce gros coup de pouce du très populaire chanteur portoricain. Hélas, ça ne suffira pas. Dix jours plus tard, une large tranche de l’électorat latino, majoritairement masculine, se ralliera aux promesses économiques de Trump.
Un an après l’élection présidentielle, beaucoup de soufre a coulé sous les ponts du pays, Bad Bunny a sorti un dernier album enflammé et Trump a dégainé sa police d’immigration dans tout le pays, terrorisant sa population pour tenter de réaliser sa promesse de campagne d’expulser des millions d’individus en situation irrégulière.
Surtout, la star portoricaine se produira à la mi-temps du Super Bowl, en février prochain. Une annonce qui a fait hoqueter les ultraconservateurs qui le jugent «démoniaque» et hurler le président qui... jure «n’avoir jamais entendu parler de lui».
A chaud, on aurait pu penser que c’est beaucoup de brouhaha pour un type qui n’a, mine de rien, pas eu le pouvoir d’aider les démocrates à garder la Maison-Blanche. Que Washington a d’autres chats à fouetter que la consécration d’un chanteur.
Or, si Bad Bunny est bien une bestiole politique depuis de longues années, comme l’ont été Bruce Springsteen ou Bob Dylan avant lui, c’est d’abord un ouragan de cultures qui emporte tous les cœurs sur son passage. Un aimant à sueur et à déhanchés, mais aussi un espoir pour tout un peuple d’avoir un porte-voix d’une intégrité et d’une simplicité aussi désarmantes. Benito Antonio Martínez (de son vrai nom) renforce surtout une langue espagnole que Trump a décapitée, en faisant de l’anglais la seule langue officielle des Etats-Unis.
Car le mouvement MAGA n’est pas seulement à l’affût d’un danger politique potentiel. Il compte bien nettoyer l’ADN américain, des universités aux tympans de la jeunesse. Le brave Benito, en trônant fièrement au sommet des artistes masculins les plus écoutés au monde, parvient à drainer des foules d’Américains qui, s’ils ne comprennent pas l’espagnol, parlent la langue universelle de la scène.
Celle qui a fait voyager près de 600 000 fans à San Juan, la capitale d’une île de Porto Rico accueillant une résidence de Bad Bunny qui a frôlé les records de l’Eras Tour de Taylor Swift. 600 000 personnes frustrées de la décision de la star de ne pas tourner aux Etats-Unis, craignant que les gorilles de l’immigration fassent le pied de grue au pied des stades, comme l’a promis la «Barbie de l’immigration», Kristi Noem.
Le chanteur hispanique, qui rafle des Grammies comme d’autres cueillent des bolets, va sans doute trouver le moyen d’influencer les cruciales élections de mi-mandat dès le début de l’année 2026. Mais sa présence lors de la mythique mi-temps du Super Bowl, dans quatre petits mois, sera d’abord un imposant pied de nez culturel qu’une classique bravade politique.
Si Bad Bunny dérange à ce point les trumpistes, ce n’est pas tant parce qu’il déteste ouvertement Donald Trump – de nombreux artistes américains sont dans ce cas. Mais parce qu’il fédère une quantité astronomique de citoyens de tous horizons, sans avoir à brandir sa vision des Etats-Unis pour y parvenir.
En d’autres termes, ses farouches détracteurs craignent sa puissance musicale, bien avant ses origines. Car, contrairement à Taylor Swift, au bénéfice de tous les clichés qui auraient pu faire d’elle la fille de l’Amérique conservatrice, Benito brouille les pistes avec humour, ouvre grandes les fenêtres et fait hurler les décibels en espagnol pour que les moins bien lotis puissent ignorer, l’espace d’une mi-temps de football américain, les menaces de Trump.
Comme le rappelait le New York Times cette semaine, «une majorité d’électeurs pensent désormais que le pays est trop divisé politiquement pour pouvoir résoudre ses problèmes». Durant le Super Bowl, dernier bastion d’une Amérique qui parvient tout juste à se rassembler autour d’un touchdown, Bad Bunny va dégainer une arme que Taylor Swift n’a pas voulu offrir à Kamala Harris durant sa campagne: chanter.