Mon chien n'est pas un simple chien. C'est un rhodesian ridgeback de 3 ans non castré. S'il percute une voiture, ce n'est pas lui qui sera blessé, mais la voiture. Il pèse 40 kilos, son cou est aussi gros que celui de Dwayne Jonhson et quand il veut jouer, il vous rentre dedans comme un groupe de roots qui pogote sur du ska. Il n'est pas méchant, il n'a juste pas conscience de sa force. Par exemple, quand il veut être un good boy en vous donnant la patte, il peut vous faire tomber. Quand j'ai accouché, les gens me disaient: «tu verras, il protègera le bébé.»
Voilà pour le chien. Quant à ma fille, heureusement, elle ressemble à n'importe quel bébé de son âge: elle a 10 mois, elle rampe, tente de s'électrocuter et tout ce qu'elle pointe du doigt s'appelle «ah!».
Les deux ensemble, c'est la colocation de l'enfer. Quand mon chien est content et veut l'exprimer au bébé, il vient lui mettre un coup de museau qui s'apparente à un coup de boule. Si je ne suis pas attentive, il la renverse et j'ai le droit à une crise de pleurs.
A contrario, si ma fille veut jouer avec le chien, elle ne va pas le caresser, elle va le taper avec le plat de la main, parce qu'à cet âge, les bébés sont comme cet ami bourré en manque d'attention. Leurs gestes sont brusques et incontrôlés. Alors quand je décide que c'est trop, je l'éloigne et j'ai le droit à une crise de pleurs.
J'ai dû me résoudre à acheter un parc, ces petites prisons qui bouffent la moitié de votre salon et dans lesquelles les bébés hurlent après seulement 45 secondes. Mon parc a des barreaux, alors comme dans une cellule de taulard, ma fille se met debout et se balance de gauche à droite en hurlant. Mais mettez-lui entre les mains une spatule et un rouleau de scotch, et en avant les histoires!
Le parc, qu'on ait un chien ou pas, c'est pratique. Ça permet de finir de préparer quelque chose en cuisine, de ranger, de préparer un départ avec bébé ou d'aller aux toilettes. C'est pratique également quand on veut jouer avec le chien. Comme le mien est brutal, il faut éviter que bébé soit dans les parages, sinon il finira en quille de bowling et mon chien ne manque jamais un strike.
J'ai confiance en lui, mais ça reste un animal. Jamais je ne le laisserai seul avec ma fille. Malheureusement, on lit trop d'histoires de chiens dans les médias ayant défiguré des bébés (et ce ne sont pas que des pitbulls). Une amie à moi s'est fait mordre par son chien étant petite, un golden retriever.
Il y a déjà tellement de moments «s'il te plaît ne meurs pas» avec son enfant que le chien ne doit pas devenir un stress en plus.
On ne promène pas un ridgeback comme on promène un loulou de Poméranie. Ces 40 kilos de muscles, il faut être capable de les tenir quand on croise un autre chien, ou pire, un chat. Je ne suis pas cette maman qui, de la main gauche pousse la poussette et de la main droite tient le toutou - ou pire, accroche la laisse à la poussette et tient son Ice Matche Latte. Un jour, j'ai accroché mon chien à une caissette de journaux devant la Coop, il est parti avec la caissette (sans payer, en plus).
Autrement dit, mon ridgeback est si fort (et si peu éduqué) que je ne peux pas promener les deux en même temps. Trop dangereux. Si je perds le contrôle, si je tombe, si ma fille tombe, on serait à nouveau dans un moment «s'il te plaît ne meurs pas».
Mais comme les marques pour bébés ont une solution à tous les problèmes, j'ai acheté une poussette de sport un peu particulière. Elle n'a que deux roues. C'est moi la troisième roue du carrosse. Elle s'accroche aux hanches. Du coup, je tire mon bébé et je suis comme un cheval de trait avec mon chien à la tête de l'attelage, censé m'aider à tirer le bazar de 30 kilos mais qui est plus occupé à me ralentir pour lécher des cacas de chiens sur le bord de la route.
En parlant de gourmandises, parlons des repas. Parfois, avoir un chien qui mendie quand bébé mange, c'est un gain d'énergie. Le toutou fait office d'aspirateur. Il sert également de serpillère à l'heure du yogourt. Il arrive tout de même qu'un peu trop excité par toute cette nourriture, il se mette à baver.
Et quand on a un molosse, ce n'est pas juste quelques gouttes. D'abord, il y a deux longs fils de mucus, épais et gluants, qui coulent de chaque côté des babines. Ces fils ne cassent jamais, c'est fascinant, ils s'accrochent coûte que coûte aux babines comme si leur vie en dépendait. Et puis, progressivement, une mare de bave se crée par terre. Votre parquet en chêne massif non traité vous remercie.
Oui, justement pendant les repas. L'animal se prostituerait pour un pot de yogourt vide. Donc, voir qu'un être vivant ingurgite le précieux nectar pour le recracher droit derrière sur son imperméable, ça doit un peu le saouler.
Il ne comprend pas pourquoi on lui dit «non» à chaque fois qu'il s'approche de bébé et pourquoi on prend une petite voix aiguë et cucul quand on parle au bébé. Il ne comprend pas non plus pourquoi le bébé a plus d'attention que lui.
Tout ce qu'on peut faire quand on a un chien et un enfant, c'est tenter de leur donner à chacun toute l'attention dont ils ont besoin et faire au mieux.
On m'avait dit juste avant que j'accouche: «tu verras, quand ton bébé sera là, ton chien passera au second plan.» C'est faux. Même si le chien n'est pas le couteau le plus affuté du tiroir.