Les fans de Bob Dylan en auront pour leur argent, disons-le tout de suite. Un parfait inconnu est une succession de morceaux qui ont jalonné la trajectoire du prix Nobel de littérature 2016.
Pour Bob, les chansons remplacent les tunnels de dialogues, elles sont le reflet personnel et profond du musicien, peu bavard, peu démonstratif, souvent cantonné à une posture éteinte; il préfère chanter pour se raconter.
Le film prend racine en 1961. Le vagabond arrive avec son sac et sa guitare, dans le coffre d'une caisse, catapulté dans la grisaille new-yorkaise. On croirait revivre Inside Llewyn Davis des frères Coen.
Sous son béret et bravant la jungle urbaine, Bobby (Timothée Chalamet) désire trouver quelque chose, quelqu'un. Il a une coupure de presse dans la poche. Il s'agit de Woody Gunthrie, la légende du folk. On découvre sous les traits du bonhomme un Scott McNairy subtil, poignant, qui ne pipe mot. Il rencontre au même instant Pete Seeger (Edward Norton), figure du genre, qui lui permettra de gagner sa vie en tant qu'artiste.
C'est grâce à son instrument qu'il s'introduira. Hormis sa folk éblouissante, il brille par ses silences, ses regards, ses cigarettes grillées pour réfréner ses bleus à l'âme. Ici, l'unique langage est la musique.
A travers les notes et l'enchaînement des scènes, James Mangold raconte un homme, un artiste en quête de liberté, d'émancipation face à une popularité qui le rend paranoïaque, comme Dylan l'écrit dans une lettre adressée à Johnny Cash (le méconnaissable et sublime Boyd Holbrook).
Cash lui rappelle du tac au tac:
Se moquer du système et avancer sans s'en soucier. Anticonformiste rime avec artiste, un refrain empoigné par Bob Dylan pour survivre dans cette nuée de cris, d'attentes qui lui pèsent sur le ciboulot.
Il en faut pour digérer. Sous la tignasse bouclée qui ne cesse de pousser, les lunettes pour se cacher, Timothée Chalamet va incarner le chanteur, lui rendre sa retenue. Sans sa guitare, le bonhomme souffle, murmure, se recroqueville. Avec, il se transforme.
Car Un parfait inconnu est un film intime, que Mangold parvient à encapsuler dans une bulle mélodique, parfois poétique, parfois mélancolique. Le cinéaste est un coutumier du genre, après avoir narré l'existence plus rock'n roll de Johnny Cash, dans le film Walk the Line. Il avait également étincelé avec Le Mans 66, tout aussi intimiste dans le brouhaha des grosses cylindrées.
Mangold aime les personnages qui sont aspirés par leur passion. Et le chanteur folk n'a pas échappé à la règle. Il n'est pas question d'hagiographie, puisque Dylan est montré sous un jour critique dans ses relations tant amoureuses qu'amicales. On le voit partager une relation complexe et curieuse avec Joan Baez (la révélation Monica Barbaro).
Mépris, dédain, timidité, ce Bob Dylan peut être perçu sous différents aspects, surtout sans son micro et sa guitare. Lors d'une scène, Dylan rencontre Bob Neuwirth juste après une fête. Il se plaint d'être «utilisé» comme une bête de foire, qu'il veut être qui il veut vraiment. Neuwirth lui rétorque: «Qui veux-tu être?» Dylan répond: «Je ne sais pas».
Cette séquence incarne l'homme, qui ne veut pas s'apitoyer sur son passé. Il veut être insaisissable, il désire être un musicien qu'on vient admirer et écouter sur scène, et non la personne qu'il est une fois hors de son costume d'artiste.
Tout ce qu'il fait, tout ce qu'il est s'en va dans sa musique.
Et pour se défaire des attentes, il lui faut le faire frontalement. La séquence pivot sera le morceau Like a Rolling Stone, lors du festival folk de Newport. Sa composition provoquera un séisme auprès de ses fans. Mais sur cette scène, il a marqué son territoire et récolté ce qu'il cherchait: être lui-même envers et contre tous.
Dans cette succession de musiques, se dégage l'intériorité des sentiments de Bobby, appuyée par les plans serrés de Mangold, pour sonder l'âme verrouillée du chanteur.
Timothée Chalamet réussit à transmettre ces émotions contenues et compose avec l'indifférence qui colle au personnage et laissant pulser la face mystérieuse de Dylan. Sur ce terrain de jeu, le biopic est convaincant et se déguste comme un disque d'une vie et d'un destin hors du commun.
«Un parfait inconnu» sort dans les salles le 29 janvier.