Cette question revient à tort et à travers et ne cesse d'animer les tablées de sériephiles et cinéphiles:
Assurément. Peut-être. A vous de voir. C'est pas vrai!
Après une flopée de damn fine cup of coffee, la discussion ne peut que s'éterniser. Simplement parce que les aficionados du réalisateur vont vous dire que son chef-d'œuvre ultime est Mulholland Drive, que Blue Velvet est intouchable, que Eraserhead a marqué à jamais le cinéma, que Sailor et Lula est mythique. Rien ne va plus.
Les fins connaisseurs du travail de Lynch vont se crêper le chignon.
Mais une chose est certaine: l'agent Dale Cooper (Kyle MacLachlan) et son enquête sur le meurtre de Laura Palmer (Shery Lee) ont fasciné et marqué la télévision. Mieux, Lynch a déringardisé la série télévisée et l'a mise sur un pied d'égalité face au cinéma.
48 épisodes au total, diffusés sur la chaîne ABC du 8 avril 1990 au 10 juin 1991, avant qu'une nouvelle saison n'arrive en 2017 sur la chaîne Showtime.
L'excentricité de Lynch, son univers particulier, sa patte feront écrire au Guardian ce titre, si juste: «Twin Peaks, la série étrange et merveilleuse qui a changé la télévision».
Lynch a transformé le téléspectateur en enquêteur, comme dans de nombreuses séries télévisées qui se succèdent aujourd'hui sur nos écrans. Twin Peaks était en avance sur son temps en posant ces deux (simples) questions: qui a tué Laura Palmer? Que se passe-t-il de façon générale dans cette ville?
Et ça, c'était neuf sur les chaînes américaines, scotchant des détectives en herbe devant leur téléviseur. L'histoire de cette petite ville fictive a fasciné; elle s'est muée en un étrange condensé d'enquête policière, d'innocence, de mélancolie, d'humour, d'amour...
A l'instar de séries telles que Westworld et True Detective, Twin Peaks insérait une intrigue pour mieux faire apparaître des réflexions étranges, abstraites, brouiller les pistes et bouleverser son public. Si bien que les fans ont commencé à éternuer leur cerveau à force de théoriser pour collecter le moindre petit détail de l'enquête et comprendre la vérité cachée de Twin Peaks.
Dans la veine de son thriller Blue Velvet, dans son costume de maître de l'étrange, David Lynch a rendu accro et fidélisé une horde de fans grâce à une plume et une vision.
L'artiste a su capter les traumatismes émotionnels en investissant l'intime. Lynch a toujours agrippé l'âme humaine pour en saisir les tourments, dans un monde à l'agonie. Il avait son propre langage, presque vernaculaire, et laissait trembler le voile qui nous cachait le surnaturel. Son travail sondait le monde intérieur de chacun, pour vous bousculer et vous torturer votre matière grise.
Le monde de la télévision a bel et bien été transformé en 1990 avec cette série télé-réflexion qui dépasse la simple énigme à résoudre. Pour Lynch, c'était une toile vertigineuse, une peinture qui a transcendé et s'est muée en chimère. Et nous, catapulté dans le bassin d'imagination tordue du bonhomme, nous ramions au milieu des flots de l'étrangeté.
Lynch disait même que «filmer l’abstrait le passionnait en allant jusqu’au bout d’une idée et de l’exprimer par un art». Et d'ajouter que d'une manière, cela lui faisait traverser «angoisse et euphorie».
Sa patte unique lui a valu l'honneur d'être «panthéonisé» par la critique, elle qui s'est approprié son nom pour en faire un adjectif: «lynchien», pour qualifier l'abstraction.
Son oeuvre a pris fin ce 16 janvier et désormais orphelin, l'univers de la série peut grandement remercier David Lynch pour son passage sur le petit écran.