Si vous ne connaissez pas Lee Miller, c'est une vie inouïe qui va se dérouler sous vos yeux. En effet, cet ex-modèle fut la muse du célèbre photographe surréaliste Man Ray et côtoya des figures telles que Jean Cocteau et Picasso avant de devenir l'une des premières femmes photographes de guerre. Partie sur le front en 1944, elle témoigna des horreurs de la Seconde Guerre avec des images à la beauté picturale troublante pour le compte du magazine Vogue.
Pour redonner vie à cette figure historique, c'est l'actrice Kate Winslet qui prête son visage à Lee Miller dans ce biopic réalisé par Ellen Kuras. Un rôle cher au cœur de l'actrice britannique qui a également produit le film et a veillé à ce que la mémoire de cette femme hors du commun soit honorée en travaillant sur ce projet durant neuf ans.
Lee Miller, parce que née femme, a beau avoir marqué l'histoire en faisant découvrir au monde l'Holocauste avec ses reportages dans des camps de concentration, elle n'aura jamais eu la reconnaissance qu'elle méritait. À sa mort en 1977, à l'âge de 70 ans, Lee Miller avait sombré dans l’indifférence générale après une vie marquée par l’alcoolisme, minée par un passé d’abus sexuel et un syndrome post-traumatique. Son travail fut redécouvert à sa mort, et derrière cette fin tragique se cache une histoire exceptionnelle que ce film honore avec brio.
Il y aurait eu tant de manières de raconter l'histoire de Lee Miller. À commencer par son passé de mannequin et ses liens avec les icônes culturelles de son époque. Durant une interview en 1977, c'est sous la forme de flashbacks que les souvenirs nous sont narrés par une Lee Miller à la fin de sa vie. Le film nous épargne la biographie de A à Z en plaçant son intrigue dès 1937 et sa rencontre avec Roland Penrose, l'homme qui deviendra son mari et le père de ses enfants, incarné à l'écran par Alexander Skarsgård. Si le film s'avère relativement académique dans sa mise en scène, il arrive tout même à surprendre avec une intelligence plutôt bienvenue, tant les films biographiques sont en général convenus.
En plantant son intrigue dès la Seconde Guerre mondiale, le film raconte la transformation de Lee Miller en véritable reporter de guerre pour Vogue. Un courage et une détermination à toute épreuve qui font d'elle une pionnière dans un métier encore aujourd'hui largement dominé par les hommes. Sa carrière la conduit à immortaliser des moments historiques, du Blitz en Angleterre à la libération de Paris, avant de continuer son chemin derrière les lignes ennemies. C'est là qu'elle fera partie des premières à découvrir les camps de Dachau et de Buchenwald et des horreurs qui s'y trouvent.
Lee Miller est un biopic très sage, qui aborde finalement peu les questions liées au métier de photographe de guerre, qui sont confrontés aux pires atrocités. Le film aurait pu aborder davantage la recherche de la photo parfaite, comme l'a fait notamment le film Civil War d'Alex Garland.
Ellen Kuras, ancienne directrice de la photographie devenue réalisatrice, s’en sort tout de même grâce à des images parfois sidérantes de beauté et la performance de son casting d’exception - Kate Winslet en tête - qui nous délivre une prestation plus vraie que nature. À noter la présence des actrices Marion Cotillard et Noémie Merlant, qui apportent toute leur élégance à la française, en dressant le portrait de ces femmes émancipées des années 1940.
Le film a comme fil rouge de contextualiser certains des clichés les plus célèbres de Lee Miller, y compris la plus marquante. Le jour même du suicide du Führer à Berlin, Lee Miller s’est rendue avec son ami photographe David Scherman (Andy Sanberg) à Munich, où ils ont découvert l’appartement personnel d’Adolf Hitler.
Dans cette séquence surréaliste, Lee Miller se met en scène nue dans la baignoire du dictateur avec une photo de celui-ci, ses bottes pleines de terre du camp de Dachau sur le tapis de bain. Une photo iconique, improvisée durant un moment suspendu, qui rappelle qu'avant d'être une photographe aguerrie, Lee Miller était avant tout une artiste.
Ce qui sidère à la vision du film, c'est qu'il y a dans la vie de cette femme exceptionnelle quelque chose d'étonnamment contemporain, autant dans ces enjeux féministes que dans ses leçons d’histoire, notamment sur la question des violences faites aux femmes. Kate Winslet y est magistrale dans son interprétation d'une femme anticonformiste qui a su lutter contre la volonté des hommes pour s'accomplir.
Lee Miller de Ellen Kuras est sorti sur les écrans romands le 9 octobre 2024. Durée: 1h 57.