Nul n'est prophète en son pays, dit le dicton. Voilà qui s'applique au film multi-nominé aux Oscars et quatre fois récompensé aux Golden Globe, Emilia Pérez.
Le drame musical signé Jacques Audiard avec Karla Sofía Gascón, Zoe Saldaña et Selena Gomez se prend en effet une volée de bois vert au Mexique, pays dans lequel se déroule l'histoire. Le film, qui explore la trajectoire d'une femme trans dans le contexte brutal du narcotrafic, déplaît tant que les spectateurs vont jusqu'à quitter la salle en plein visionnage.
La raison? Il y en a plusieurs.
Selon le Huffington Post, les Mexicains reprochent avant tout au réalisateur d'avoir excessivement usé de clichés sur le pays, et même de «glorifier le narcotrafic, qui fait des dizaines de milliers de morts chaque année au Mexique».
Jacques Audiard est accusé de n'avoir pas fait de recherches convenables sur le pays avant de lancer son immense projet, et d'avoir traité avec légèreté une thématique très sérieuse, qui conduit à des statistiques dramatiques. BFM cite notamment quelque «30 000 homicides annuels et 100 000 disparus liés à la narco-violence.»
A sa charge, le réalisateur de 72 avait expliqué qu'il n'avait pas «eu besoin de faire des recherches sur le Mexique car il en savait suffisamment». Pour ne rien arranger, de nombreuses images ont été capturées dans les studios parisiens, et non dans le pays.
Ce qui a fait réagir le chef-opérateur mexicain Rodrigo Prieto, très connu à Hollywood (Barbie, Killers of the Flower Moon, Le Secret de Brokeback Mountain, Le Loup de Wall Street):
Les critiques ont débusqué une multitude de détails qui ne collent pas avec la réalité du pays, comme le résume Le Monde. Le quotidien cite la journaliste Sofia Otero de la revue Volcanicas, qui souligne que le diplôme de l’avocate est «issu d’une université qui n’existe pas au Mexique». Le tribunal judiciaire mexicain serait en outre un copier-coller «d’un tribunal américain». Ou encore:
Autre réprimande adressée au réalisateur: parmi ses têtes d'affiche, une seule (Adriana Paz) est mexicaine.
Le public local est tellement furax qu'il a déserté les salles, qui ne comptent parfois que deux ou trois pelés. Une vraie rebuffade, que la chaîne de cinémas Cinépolis a tenté de canaliser grâce à une pirouette: le film a été labellisé «Garantie Cinépolis». Malheureusement pour les responsables, le public a fait valoir la condition liée à cette garantie, qui prévoit que le film peut être remboursé si l'on sort dans les 30 premières minutes.
Face aux nombreuses demandes de remboursement, la chaîne a répondu qu'il s'agissait d'une règle désuète. Mais la polémique a tellement enflé que le Proféco, le Parquet fédéral de la consommation au Mexique, a dû intervenir. Au final, la «Garantie Cinépolis» pourrait se transformer en une simple recommandation.
Une réponse cinglante (et en images) a été formulée par la réalisatrice mexicaine trans Camila Aurora. Celle-ci a tourné un court-métrage intitulé Johanne Sacreblu, parodiant Emila Pérez et se moquant de la France.
La vidéo publiée samedi sur YouTube, et qui a vu le jour grâce à un financement participatif, cumule déjà plus d'un million de vues. Les commentaires, très internationaux, sont évidemment sarcastiques. «Au Brésil, on mange du pain français chaque matin, et donc ça fait de nous des experts en culture française», peut-on notamment lire. Bref, c'est devenu un peu leur Emily in Paris à eux.
Le court-métrage n'hésite pas à pointer du doigt l'accent espagnol de Selena Gomez, considéré par certains comme approximatif. La chanteuse et actrice a même dû se défendre sur TikTok, expliquant avoir fait du mieux qu'elle a pu.
En parallèle, certains Mexicains ont tout de même tenu à voir le film. Cependant, ils se contentent d'une version illégale en ligne, pour ne pas avoir à lui apporter une quelconque contribution financière.
Emilia Pérez ne va cependant pas sombrer dans l'oubli de sitôt. Avec 13 nominations, il s'agit du film non anglophone le plus nommé de l'histoire des Oscars.