C’est la première fois, et ça se voit un peu. Non pas côté line-up, très respectable, mais côté logistique: le tout jeune Pully Live Festival, héritier du Pully à l'heure du Québec, démarre cette semaine à deux pas du port de la commune vaudoise, entre les buvettes, les mouettes et les bateaux à voile.
Arrivée dix minutes avant le début du concert de Bon Entendeur, je m'attends à pouvoir entrer tranquillement sur le site, et je me retrouve à patienter au milieu d’une file confuse de festivaliers agacés de rater le début du concert, de sécus dépassés et de barrières mal alignées. Mention spéciale, une fois dans la zone de la grande scène, à l’attente de presque trente minutes au bar.
Heureusement, le duo français Bon Entendeur arrive à 20 heures 30 précises. L’ambiance? D’abord un brin timide. La setlist est pensée pour faire danser un public encore un peu éparpillé, avec Le temps est bon, évidemment.
Mais il fait justement encore trop bon en ce mercredi soir, le ciel est encore trop bleu; difficile de déclencher une euphorie collective quand le soleil tape encore généreusement sur les nuques des quadras aux tempes grisonnantes. Un public qui attend surtout ce qui va suivre: la messe de 21 heures 30, célébrée par un certain Bob Sinclar.
Lorsque la tête d'affiche arrive, changement d’ambiance immédiat. Le public s’est densifié, la température monte encore d’un cran, les quadras, lunettes de soleil Celine vissées sur la tête alors que la nuit tombe petit à petit, se bousculent avec des bouteilles de rosé et de champagne. Ils sont prêts à s’ambiancer «comme jaja».
Mais ils font face à ceux qui sont venus pour s'époumoner sur «beee the looove generaaation». Ces derniers, déterminés à se faire sauter les cordes vocales sur leur compil’ NRJ Hit Music Only 2006, ont dû ronger leur bracelet en tissu Ushuaïa Ibiza de l’été dernier pendant un bon 50 minutes. Car le DJ français préfère envoyer de la house et des remixes qui font transpirer les mocassins et les chemises en lin (celles avec les rayures verticales). Bref, un vrai set, pensé pour faire danser, pas pour faire du karaoké.
Bob Sinclar nous sort des remixes impeccables, parfois inattendus, souvent jouissifs: Un Verano en Nueva York aux accents latinos; hommage au revival de Bad Bunny et son désormais cultissime Nuevayol, un petit Nirvana au goût de madeleine de Proust avec Smells Like Teen Spirit, Insomnia de Faithless, ou encore un clin d’œil aux Doors sur Another brick in the wall. Il déterre aussi certains de ses propres classiques, comme Gym Tonic, sorti en 1998 (coucou le coup de vieux).
Sauf que voilà, les fans de Bob «Fun Radio» Sinclar, eux, sont un peu fâchés. Ils ne sont pas là pour suer comme en rave, mais pour hurler les paroles de World Hold On en story Instagram et s’extasier quand ça fait «yeah» au moment du drop. Et pour ça, il leur faut attendre la fin. Vers 22 heures 20, Rock This Party résonne enfin, leur déclenchant des cris de soulagement. Puis World Hold On. Et pour finir, Love Generation, comme un câlin pour festivaliers égarés.
Pour les autres tubes de l'artiste, comme Far l’amore, The beat goes on, Rock the Boat, What I Want ou encore I Wanna pour ne citer qu'eux, il faudra allumer Spotify dans la voiture sur le chemin du retour, pour ceux qui habitent loin, comme à Lutry.
Le public s’en va sur les coups de 22 heures 45 - il faut dire qu’on est mercredi soir et qu’il y a boulot demain (et que se coucher à 3 heures du matin en rentrant de festival, c'est chiant). Des quadras, il y en a beaucoup. Des quadras marinières, des quadras chemises à rayures, des quadras qui connaissent les meilleurs spots pour un Sarti Spritz sur un ponton. Ceux qui ont un bateau, un pote qui a un bateau ou un pote qui a un pote qui a un bateau. Bref, un mélange très lémanique de fêtards, venus s'amuser sans trop s’éloigner de chez eux.
Parce que c’est aussi ça, le charme de ce Pully Live Festival: on est à 10 minutes de bus du centre-ville de Lausanne, pas besoin de dormir dans une tente humide ou de marcher 5 kilomètres dans la boue pour atteindre la scène. Ici, on vient en mocassins, et on rentre en Uber.
Le cadre est idyllique – le lac, la vue sur les montagnes, la lune qui s’invite en guest star, le festival à taille humaine (jusqu'à 4500 personnes devant la scène principale). Côté organisation, «peut mieux faire»: les files au bar, à l'entrée, un système de jeton peu clair pour sortir et rentrer avec ses consommations dans l’enceinte de la grande scène. Pour une première, on dira que c’est le rodage. L’essentiel est que la musique a suivi, et que Bob Sinclar a fait danser Pully (ou «Pouilly» comme il dit), les fans de house, d'electro, de French touch, les connoisseurs en chemise à rayures.
Le Pully Live Festival continue ces prochains soirs avec d’autres artistes au programme, comme Gotthard, Bastian Baker, Nile Rodgers & CHIC ou encore Kadebostany. Pour l’heure, cette première soirée a marqué les esprits – au moins ceux qui ont survécu à la queue du bar.