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Interview de Nnavy: «Ce qui m'arrive est un bel accident»

Florine Gashaza, alias Nnavy, est la première artiste féminine suisse à avoir été repérée par le célèbre studio berlinois Colors.
Florine Gashaza, alias Nnavy, est la première artiste féminine suisse à avoir été repérée par le célèbre studio berlinois Colors.Image: Shervine Nafissi

Nnavy, la Romande devenue star «par accident»

Fin mars, elle a passé une étape qu'aucune Helvète n'était parvenue à franchir auparavant. La première artiste féminine suisse de Colors revient sur sa rencontre avec le célèbre studio, son rapport à la notoriété, à la musique helvète ainsi qu'à son identité longuement inconsidérée.
01.04.2023, 07:5709.04.2023, 10:15
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Ambiance feutrée ce vendredi après-midi, au Pointu. Loin des vivats qui rythment son quotidien depuis quelques mois, la jeune chanteuse nous attend dans l'un de ses cafés lausannois préférés. Celle dont le piano sert habituellement de compagnon d'infortune se concentre ici sur le clavier d'un outil tout aussi essentiel à son quotidien: son PC: «J'avançais mes cours!», s'interrompt à la hâte l'étudiante en psychologie. Loin de la mélancolie de sa musique et de la surcharge manifeste de son emploi du temps, Nnavy et son sourire dévoilent une envie de suspendre le temps afin d'échanger et de partager.

Ça tombe bien. C'est tout le sujet de notre rencontre. Car si les médias et les internautes s'accordent à encenser son timbre groovy, peu d'informations sur la personne qu'est réellement la Vaudoise de 24 ans circulent. Pour watson, Florine Gashaza, de son vrai nom, se confie avec passion et modestie.

Le «soûl envoûtant», le «charme d’un spleen», la «Révélation de l’année»... Les médias ne tarissent pas d'éloges à votre égard. Mais il n'y a pas qu'eux qui vous encensent. Les internautes le font également depuis de longues années. Qu'est-ce que vous ressentez face à toute cette attention?
Je ressens énormément de joie. Quand vous mettez autant de votre âme dans un projet, c’est gratifiant de voir que les gens s’accordent de manière positive sur celui-ci. Mais, en même temps, c’est une sensation terriblement bizarre.

Pourquoi?
Parce qu'il n'y a encore pas si longtemps que ça, je chantais principalement dans ma chambre. Mon but n’était pas d’être validée par les médias. Je n’avais même jamais envisagé de me lancer dans la musique. A la base, je visais juste à terminer mon Master en psychologie de l'enfant et de l'adolescent, à Lausanne.

Puisque vous en parlez, quelle est votre formule magique pour réussir à jongler entre vos vies d'universitaire et de chanteuse?
Si seulement je la connaissais (rires). Du côté académique comme musical, il y a des délais à respecter. Je n'ai pas d'autres choix que de les respecter. Il y a des jours où je suis extrêmement fatiguée. J'ai même dû allonger mon Master d'une année. Mais je me rappelle que ce qui m'arrive musicalement est incroyable. Cette carrière est un bel accident. J'ai pu croiser sur mon chemin des musiciens, des programmateurs et surtout ma manager qui m'ont aidée dans mon parcours. J’ai beaucoup de chance.

Vous parlez de chance et d'accident. Cela fait écho à un entretien d'il y a deux ans, dans lequel vous confiez parfois ressentir le syndrome de l'imposteur. Est-ce donc toujours le cas?
Oui, et il y a deux raisons à cela. La première est que, contrairement aux gens qui m'entourent (musiciens, ingénieurs du son, manager), je n'ai pas achevé d'études ou de formations musicales qui valident officiellement ma compétence. Certes, je suis à l'Université, mais concernant la musique, je n'ai jamais suivi de cours.

Et la deuxième raison?
Des femmes avec de belles voix, il y en a des milliers dans la région. C'est difficile, pour moi, de comprendre pourquoi j'ai des résultats que d’autres, parfois plus acharnés, n'ont toujours pas obtenus. Ce ressenti était d'autant plus fort à mes débuts.

A quand remontent vos débuts en tant que chanteuse?
J'ai commencé à poster sur Instagram des vidéos de reprises musicales en 2018. Mais c'est la pandémie de Covid, en 2020, qui, bien que difficile sur plusieurs aspects, a été un heureux tournant d'un point de vue musical. Lorsque les mesures ont commencé à être allégées, les programmateurs suisses n'ont pas eu d'autres choix que de se tourner vers les artistes du pays.

C'est notamment comme cela que vous avez été amenée à performer au Montreux Jazz Festival...
Oui, exactement. Ça a été une immense chance, pour moi, car beaucoup de programmateurs sont venus m'écrire afin que je chante sur leurs scènes. C'est à ce moment que Blue (2020) est né.

La première piste de Blue:

Blue par NnavyVidéo: YouTube/NNAVY

«Nnavy» tire son nom de la couleur bleu marine et de la mélancolie qu’elle représente. C’est d’ailleurs tout le synopsis de votre premier EP Blue. Il y est question de chagrins d'amour, de solitude, de regrets, de rejets, de souhaits irréalisables. Que représentent ces thèmes dans votre vie personnelle?
La période durant laquelle Blue a vu le jour était particulièrement marquée par les thématiques que vous mentionnez. Pour moi, l'écriture est thérapeutique. Elle me permet d’exprimer ce que je ne parviens pas à confier aux autres, comme un journal intime. Mes plus grandes inspirations sont les aléas de ma vie.

In good company (2021) continue de parler d’amour. Toutefois, il semble plus ouvert au monde que le précédent: il y a davantage de collaborations, de tonalités rythmées, telles que dans Make love to me et Caramélisé. Comment expliquez-vous cette évolution?
Le but de ce deuxième EP était de collaborer avec beaucoup de gens, car il y a énormément d’artistes talentueux en Suisse qui ont, par ailleurs, de vraies choses à dire. Ceux avec qui j'ai chanté dans In good company viennent quasiment tous de l’Arc lémanique. La direction artistique était un peu plus légère parce qu'il s'agissait de ne pas seulement retranscrire mon vécu, mais de surtout mettre en lumière la rencontre de plusieurs histoires diverses.

Caramélisé, à écouter sur un transat, en plein été:

Pensez-vous qu'il soit possible de mener une carrière à succès en Suisse, quand on fait de la musique?
Je l'espère! Je le vois dans les moindres recoins du pays: nous, les talents suisses, avons extrêmement faim de réussite. C'est la raison pour laquelle j'essaie de faire carrière dans ce pays, en comptant sur les choses mises en place par les différents services de culture. Bien que, pour le moment, cela demeure toujours un peu compliqué. C’est dommage. Mais je suis, malgré tout, vraiment reconnaissante.

Pendant ce temps, un artiste genevois roule sa bosse à l’international:

Reste que vous avez été adoubée hors des frontières par Colors, l'un des studios de musique les plus en vogue du moment. Racontez-nous comment s'est passée cette rencontre.
Colors est venu proposer à mon équipe et moi de participer à l'un de ses Colors Show. Je me suis donc rendue à Berlin, et j’ai tourné ma session. J’ai défendu un morceau que je comptais sortir en single. Je dois avouer que j’avais méga la pression. Ça fait très longtemps que je consomme ce média. Billie Eilish, Amber Mark, Daniel Caesar... Tous les artistes qui m'inspirent y sont passés. Alors, me dire que plusieurs personnes de ce studio incroyable avaient estimé que j’étais suffisamment légitime pour rejoindre ces artistes, c’est un truc de fou. Je n’ai pas de mots pour décrire ce que j'ai ressenti. Ce n’était, en tout cas, que des émotions positives.

Si vous avez loupé son passage:

Vidéo: youtube

Et qu’est-ce que ça fait d’être devenue la première artiste féminine suisse à être passée sur Colors?
C’est une immense fierté. J’espère que les artistes émergents de la Suisse vont continuer d'ouvrir des portes à l’échelle internationale. Il y a une réelle envie de nous tous de faire de ce pays l’un des acteurs de la scène musicale mondiale. On est une génération d’artistes ultramotivée.

Come and get it (2023) présente, vers la fin, une production qui ne vous avait encore jamais accompagnée: les rythmes jonglent entre percussions et djembés, comme une envie de vous rapprocher de vos origines burundaises…
J'avoue n'y avoir jamais pensé. Mais il se peut, en effet, qu’un bout de mon identité musicale soit en train de changer. Et je souhaite être dans cette perspective tout au long ma vie: il n’y a rien de plus important que de se remettre en question et de continuellement chercher des inspirations différentes. Bien qu'actuellement, je ne puise pas vraiment mon impulsion dans le patrimoine musical de mes parents, l'avoir dans mon bagage personnel est sans aucun doute une véritable richesse.

Dans Come and get it, il n'est par ailleurs plus question d’une jeune fille délaissée et dans l’attente qu’on l’aime. On fait face à une femme qui s’assume et qui s’amuse tant à séduire qu'à être séduite. Où est passée la Nnavy triste et esseulée qui publiait des vidéos depuis sa chambre?
Elle est toujours là (rires). J’ai juste grandi et je me découvre et continue de me découvrir chaque jour tant physiquement que psychologiquement. La composition de Come and get it est juste arrivée à un moment où j'avais besoin de m’écrire une chanson qui me valorise.

Ce désir de valorisation, vous en avez d'ailleurs récemment parlé dans une chaîne télévisée suisse. On y apprend que votre prochain projet voudra revendiquer des sujets comme le fait d’être «une femme noire et jolie». A quel point est-ce important de clamer haut et fort qu'on est une femme noire, en Suisse?
C’est important, car j'estime qu'il est crucial d'incarner toutes les facettes de sa personne. Quand on me rencontre, la première chose que l’on voit, c’est que je suis non seulement une femme, mais également noire. A travers Come and get it, je me suis dit que j’avais le droit de me donner la considération dont j'avais besoin et que l'on ne m'a pas toujours accordée.

L'écriture thérapeutique ne sert donc pas qu'à traiter les maux, mais sert aussi de motivation...
Totalement. Je pense que l'écriture thérapeutique ne me quittera jamais. J'ai seulement 24 ans. Il y a tellement de choses qui peuvent encore m'arriver. J'ai toujours beaucoup de choses à apprendre.

Nnavy sortira son troisième EP, dont le nom n’a pas encore été dévoilé, le 26 mai 2023. Dans l’attente de cette «surprise», dit-elle, la chanteuse suisse a prévu de sortir un single en collaboration avec un artiste français «bien connu du public». Rendez-vous le 21 avril 2023 pour le découvrir.

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