Si vous êtes maman ou future maman, vous avez peut-être vu passer cette pub sur les réseaux sociaux qui propose de créer un pendentif avec votre lait pour vous souvenir à jamais de l’allaitement, ce moment merveilleux où vos seins sont aussi durs que des briques et vos tétons, aussi crevassés que la faille de San Andreas.
Avant d’être enceinte, je pensais que l’allaitement, c’était une façon de créer un lien spécial avec bébé. Quand j’allais aux cours de préparation à l’accouchement à l’hôpital et que je voyais les photos de nourrissons placardées aux murs de la maternité, je me disais «ça a l’air quand même bien pratique cette histoire, j’vais essayer.»
D’abord, il y a eu la montée de lait: côté négatif, mes seins sont devenus aussi durs que l’iPhone 15 en titane. Côté positif: je pouvais enfin savoir à quoi ils pourraient ressembler si je passais sur le billard (j’ai pris une photo, on ne sait jamais).
Ensuite, il y a eu les tranchées. Pas celles de la bataille de Verdun hein… pires. Les tranchées, c’est lors des premiers allaitements, lorsque l’utérus se contracte pour reprendre sa taille initiale. Et évidemment, ça fait mal, sinon c’est pas drôle. Mal comment?
Personne ne m’avait prévenu pour ces tranchées, comme s’il valait mieux que ce soit une surprise en mode: tu penses que le pire est derrière toi avec l’accouchement? Hihi! Cadeau! Au moins, le mot «tranchées» est plus proche de la réalité que le mot «contraction» ou «pré-travail».
Ce qu’on ne m’avait pas dit non plus avant de commencer l’allaitement, c’est que moi aussi, j’allais devoir porter des Pampers, mais des Pampers de seins, car quand bébé tète un boob, l’autre coule, voire gicle façon ballon de baudruche percé. Ça parait évident quand on est déjà passé par là, mais quand c’est le premier enfant, on n’en a aucune idée. On pense juste qu’allaiter «c’est pratique».
Je ne les fermais même plus. Je ne les lavais plus non plus puisque de toute façon, ils étaient tout le temps humides et poisseux, parce que les Pampers de seins, ça n’empêche pas bébé d’en foutre partout. Merci à ce petit ange de rappeler à maman que rien n’est facile.
Et si, comme moi, vous avez eu une production de lait qui aurait pu nourrir la maternité des HUG et du CHUV réunis, alors vous avez connu le recueil-lait, cette ventouse de l’enfer qu’on plug sur l’autre sein quand bébé tète. On a fière allure avec ce truc sur le sein. Les fois où je n’ai pas oublié de le mettre, je me suis dit:
Et alors que je pensais ne pas pouvoir être plus au bout du scotch, il arrivait que le receuil-lait, plein, se décroche de mon sein et tombe par terre et là, je me mettais à pleurer.
L’allaitement, c’est aussi bébé qui, comme un chargeur Apple qui s’aimante à l’ordinateur, s’accroche à votre sein et le succionne ad aeternam, aspirant votre lait ainsi que votre âme comme Voldemort aspire le sang des licornes. Il a faim? Au sein. Il pleure? Au sein. Il hurle? Au sein. Il a re-faim? Au sein? Il re-pleure? Au sein. Il re-hurle? A la fin, ce n’est plus mon sein, c’est le sien.
Il était si fermement ventousé que parfois, impossible de le faire lâcher en tirant, il fallait créer un appel d’air en mettant un petit doigt entre sa bouche et mon sein. Une fois que bébé avait lâché (parce qu’en vrai, ça fait une heure qu’il lole), il vous regarde les yeux entrouverts, aussi stone que s’il avait fumé un énorme pétard, et il a tellement tété que sa bouche est toute blanche, le sang ne circulant plus.
Pour en revenir au collier fait en lait caillé… non, je ne vais pas me créer un tel bijou, parce que oui, j’allaite, mais ce n’est pas aussi poétique et cul-cul que cette pub le suggère. Quand j’allaite, je ne regarde pas mon enfant pendant 30 minutes émerveillée par sa capacité à transformer mes seins en raisins secs.
Je suis très souvent devant Selling Sunset sur Netflix ou en train de commander des paquets de lingettes Mustela sur internet. Certaines personnes me diront que je ne devrais pas me plaindre, qu’au moins, moi, je produis du lait, que certaines femmes n’ont pas cette chance, ou que si je trouve ça si contraignant, je n’ai qu’à faire des biberons de lait en poudre.
Et puis je n’ai pas besoin d’être nunuche pour allaiter. Je laisse le collier en lait à celles qui postent des quotes inspirantes sur les réseaux ou qui légendent leurs photos de vacances avec des trucs du genre: «Aaaah! Quoi de mieux que le bruit des cigales de la Provence», qui partagent un compte Instagram commun avec «leur moitié», compte sur lequel elles postent des photos kitsch avec cette fameuse moitié, front contre front, sur un ponton, au coucher de soleil à Rolle. Merci à elles d’exister et de ne pas rêver leur vie, mais de vivre leurs rêves.