Est-ce que le temps des «girls band» est de retour en Occident, à l'heure où les artistes américains et européens ne jurent que par une carrière solo? On pourrait presque le croire si l'on regarde Pop Star Academy: Katseye, sorti sur Netflix ce 21 août. Dans ce documentaire, on plonge dans les cruelles coulisses d'une sélection permettant à des labels de monter un «girls band» américain à l'aura globale, nommé «Katseye».
L'originalité du projet? Le groupe réunit des filles de différentes origines et nationalités, tout en suivant une méthode très rigoureuse inspirée de la K-pop.
Pour acter cette approche mixte, HYBE, une importante société de divertissement sud-coréenne qui a produit le groupe ultra-populaire BTS, et Geffen, un label américain grand public, ont travaillé main dans la main.
En regardant ce documentaire, on a un aperçu des épreuves traversées par de nombreuses «idols» dans la K-pop, comme les filles du groupe Blackpink, pour réussir à briller: les jeunes aspirantes stars, souvent mineures, deviennent «trainees» (stagiaires) pendant plusieurs années. Elles suivent des entrainements rigoureux de 6 heures du matin à 8 heures du soir, essuient régulièrement des critiques frontales et doivent répondre à une discipline de fer. Cerise sur la tendinite, elles subissent régulièrement un processus de sélection éreintant.
Cela fait déjà un moment que l'on connait les six visages de celles qui ont réussi à intégrer le groupe Katseye. Mais le documentaire sorti fin août nous donne désormais accès aux coulisses des sélections et le moins que l'on puisse dire, c'est que tout n'a pas été rose pour les six gagnantes.
Pour réaliser leur rêve, elles étaient quelque 120 000 candidates du monde entier à s'être inscrites dans la course. Seules six ont survécu.
Il y a Sophia (des Philippines), Daniela et Megan (des États-Unis), Lara, une Indienne élevée aux Etats-Unis, ou encore Yoonchae, de Corée du Sud. La dernière membre du groupe, qui se profile comme la chouchou des labels dans le documentaire, est une Suissesse. Elle s'appelle Meret Manon Bannerman, 21 ans, et elle vient tout droit de Zurich.
Manon a des origines suisses, italiennes, mais également ghanéennes.
Avant d'intégrer la «Dream Academy», Manon avait déjà parcouru un joli bout de chemin sur les réseaux sociaux. En 2023, elle comptait plus de 250 000 abonnés sur Instagram. Mais après la diffusion du docu-série sur Netflix, ses fidèles se sont multipliés, atteignant quelque 417 000 abonnés à ce jour.
Il faut dire que Manon, presque malgré elle, a été la star du documentaire. Alors que la K-pop a l'habitude de compter dans ses rangs des trainees qui s'adaptent à l'allure militaire, Manon semble moins motivée et plus prudente que ses rivales. Elle manque de nombreuses répétitions, faisant preuve d'un absentéisme qui n'est pas vraiment justifié dans le show. Cette attitude désinvolte apparente (et mise en avant par Netflix) est mal perçue par ses concurrentes, d'autant plus qu'elle a intégré l'académie de façon tardive.
Kpop Stans are so use to their Idols working through pain and exhaustion that when they see someone who prioritizes their Physical well being the think it’s „Laziness“. Manon said she was sick and sore and that’s why she took a break https://t.co/2COIdCQPiP pic.twitter.com/ZykpDTTryE
— Yara🎀 (@ReginaMang34089) August 24, 2024
De toute évidence, elle avait de la peine à trouver sa place dans un univers aussi concurrentiel où les filles sont mises constamment en compétition.
Cette attitude n'a pas été bien reçue non plus par bon nombre d'internautes, lesquels ne comprenaient pas pourquoi la Suissesse recevait malgré cela un traitement de faveur apparent de la part des labels. Comme le relèvent plusieurs twittos, Manon est la seule du show à avoir pu faire une pause pour rejoindre sa sœur dans une villa avec piscine, loin du dortoir commun.
Il faut avouer que, même pour nous, le documentaire péche à reconstruire la cohérence des critères de sélection. Face aux nombreux manquements de Manon, la production assurait que la Suissesse avait sa place dans le groupe, en raison de son «aura de star». Vous savez ce que c'est, une «aura de star»? Bah nous non plus. Mais cette spécificité a eu le mérite de braquer les caméras sur Manon, qui a fini par se rendre compte qu'elle se sabotait et qu'elle devait se bouger.
Since day one Manon was able to catch people eyes of non-kpop stans too, she was accused of missing rehearsals, made fun of her deep voice, accused of not using facial expressions but she kept going and now she's debuting #MANON #KATSEYE #DREAMACADEMYHQ pic.twitter.com/YQUhso9PGa
— essy ✶ 𝜗𝜚 (@katsbpink) November 18, 2023
Rebondissant sur l'attitude un peu désinvolte de Manon, les réseaux sont partis en cacahuète en ce qui concerne le standard de vie en Suisse, qui a été décortiqué notamment sur Reddit. En gros, pour reprendre les termes du débat, on est bien confortables, en Suisse. Au travail, on ne manque pas de prendre notre pause déjeuner, et on préfère prendre soin de notre santé mentale si on est à côté de la plaque. «Contrairement aux Américains ou à certains pays asiatiques», peut-on encore lire, où le non-stop est de rigueur au travail et où s'arrêter, même si l'on n'est pas bien, est mal vu.
Voici ledit pavé publié en premier lieu sur reddit:
Autre point qui a focalisé les téléspectateurs sur Manon: l'élimination d'une candidate nommée Emily, qui avait beaucoup d'adeptes de par ses compétences en danse, a été mal acceptée par une partie de ses fans. Lorsqu'elle a été écartée, ces derniers ont blâmé Manon, qui n'avait pas particulièrement pris de cours de danse avant la sélection, mais qui a tout de même été choisie comme membre du groupe.
she was the only one in level A dance for a reason #popstaracademy #emily pic.twitter.com/3xTSbUMu7u
— 💫 (@luvilus) August 25, 2024
Conséquence: les messages déçus ou énervés sous le profil de Manon se sont multipliés.
Dans la K-pop où les mimiques sont partie intégrante de la chorégraphie, Manon a également été pointée du doigt pour garder un visage trop rigide.
Tous ces détails ont envenimé les relations entre filles, et la Suissesse a commencé à être antagonisée par ses rivales et par le public dès la diffusion du documentaire. Sans vous spoiler, sachez tout de même qu'il y a eu règlement de compte et réconciliation générale à la fin.
after watching the katseye documentary its clear that the other girls were jealous of manon and projected their frustrations from the program onto her pic.twitter.com/s68UG1FSZg
— Hye(Joo) LOOSEMBLE IS COMING (@SoobinsBoi) August 24, 2024
Au final et paradoxalement, toute cette attention a propulsé Manon comme leader inofficielle du groupe. D'ailleurs, sur le compte officiel de Katseye, de nombreux fans demandent à en voir davantage sur la Zurichoise.
De nombreux internautes peinent à comprendre le but du documentaire Pop Star Academy qui est focalisé sur les micro-conflits. D'aucuns estiment qu'il ne fait qu'endommager la réputation de plusieurs membres de Katseye, notamment celle de Manon, à force de diffuser ses manquements à répétition.
Des viewers ne comprennent pas non plus comment les labels ont pu penser que le timing de diffusion était bon: montrer les coulisses avec des personnes peu motivées, cela est-il vraiment compatible avec le grand lancement du girls band qui a sorti son premier single Debut, suivi de Touch et de l’EP SIS (Soft is Strong), il y a peu?
De nombreuses critiques dénoncent en outre des pratiques «déshumanisantes». Notamment le fait que le moment de l'élimination est mené par une voix robotique à la «Squid Game». Les jeunes filles sont souvent bouleversées de se faire rejeter, et partent en larmes de l'aventure.
A un moment donné, un membre de la prod' verbalise l'idée que les fans attendent du drama et des tensions, et que cela permet d'autant plus de créer des liens avec les candidates restantes. L'autre côté de la médaille, c'est que de nombreuses filles se ramassent des messages haineux en ligne de la part de fans sans limites.
La production n'en avait clairement que faire; l'épreuve finale a consisté en un «survival» afin de déterminer les lauréates. Les trainees devaient remplir une série de missions en groupe et étaient jugées non seulement par les labels, mais aussi par le public, lequel devait voter pour ses chanteuses et danseuses préférées. Ainsi, la constitution du groupe a largement été influencée par l'avis des réseaux, surtout TikTok.
Cette stratégie assumée a écoeuré une bonne partie de la Toile. Ce «tweeto» qualifie par exemple l'émission de «psycho-thriller».
«Ça fait deux ans que ça a été tourné. Sur huit heures représentant deux ans de training, à quelle heure on est censés s'impliquer là-dedans?», s'enquiert le tiktokeur khal.ali, qui s'inquiète de la haine en ligne que reçoivent les membres de Katseye. «Le problème, c'est à quel point la bienveillance et la sororité a été menacée et cassée par les drama dont ils (les labels) avaient besoin pour l'émission». Avant de pondérer: «ce documentaire est quand même très cool, car il nous rappelle ce qu'est Hollywood.»
Pourtant, en dehors du vote du public, ces conditions semblent assez proches de ce que les «Idols» sud-coréennes peuvent vivre, si l'on en croit le film sur le groupe de K-pop Blackpink, sorti sur Netflix en octobre 2020.
Quoi qu'il en soit, même si les critiques se sont montrées plutôt mitigées en ce qui concerne le premier album de Katseye, nous vous encourageons à regarder ce docu-série, ne serait-ce que pour glisser un oeil derrière les rideaux de la gloire, une fois que le micro et les projecteurs sont éteints. Même si vous n'êtes pas un K-pop stan (un fan ultra-impliqué), peut-être deviendrez-vous un Manon-stan?