Ce sont bien deux groupes légendaires qui se sont produits sur la place du marché ce lundi 15 juillet.
Deux groupes pionniers que sont Air, avec son électro-pop précurseur de la French touch, et Massive Attack, inventeur du trip hop, ce mélange de hip-hop, de dub et de nappes où la guitare électrique côtoie la musique électronique. Un mix dont seule la ville anglaise de Bristol a le secret.
C'est donc les Français de Air qui ont ouvert la marche, malgré une pluie orageuse, forçant le groupe à raccourcir sa prestation d'une trentaine de minutes pour ne pas bousculer l'horaire. Dommage, mais pas si dramatique, puisque les spectateurs fans du «french pop band» avaient pu les voir en janvier dernier au Victoria Hall de Genève, lors du Festival Antigel.
C'est véritablement cette deuxième partie qui s'est fait attendre, interminablement, dans la fosse archipleine de la place du marché de Montreux. Une petite structure sur le papier, 3 000 personnes, mais dont le ressenti est littéralement 30 000.
Une jeune femme à côté de moi a fait un malaise, pour vous faire une idée de la densité du truc. C’est donc peu dire que Massive Attack était désiré, puisque ce concert à guichets fermés était la première soirée du Montreux Jazz Festival à afficher complet.
Si vous faites partie des gens ni tout à fait vieux, ni tout à fait jeunes tels que moi (c'est-à-dire un millennial) et que vous avez connu la musique avant Taylor Swift, vous n'êtes pas sans savoir que Massive Attack compte parmi les artistes clés de la musique alternative par leur originalité visionnaire et leur influence.
De l'album Blue Lines en 1991 jusqu'à Heligoland en 2010, Massive Attack a su se réinventer à chaque fois et a vu ses morceaux intégrer un nombre incalculable de films et séries, jusqu'à toucher les oreilles du grand public en devenant le générique de la série Dr. House.
Le collectif de Bristol n'a jamais caché son penchant politique dans son art, à tel point que chaque concert est une dénonciation du capitalisme et de l'impérialisme, ainsi qu'un plaidoyer pour les migrants et les victimes de conflits du monde entier.
La conscience politique du public montreusien s'est forcément élevée hier soir, lorsque les morts de Gaza se sont affichés en chiffres ou devant les images de la guerre de Vladimir Poutine. De la puce Neuralink d'Elon Musk, aux conflits au Moyen-Orient et en Ukraine, en passant par le complotisme Qanon, le show visuel de Massive Attack a des allures d'installations d'art contemporain hypnotisant sur l'état du monde.
Un parti pris, qui dans la forme autant que dans le fond, me rappelle cette théorie alimentée depuis 2016 par les médias britanniques sur l'identité du street-artiste Banksy.
En effet, de nombreuses coïncidences tendent à croire que Banksy serait en réalité Robert Del Naja, le leader du groupe Massive Attack. En effet, tous deux viennent de Bristol et lui aussi était un graffeur dans les années 1980. L’autre argument avancé par les médias britanniques n’est autre que les déplacements de Massive Attack coïncident avec ceux de Banksy.
Mais surtout, les points communs qui relient les deux hommes sont leur opinion politique et leur vision du monde qu'ils affichent toujours de manière cynique et subtile, l'un sur scène, l'autre sur des murs.
Si cette histoire est de l'ordre de la légende, le bouleversant ciné-concert livré par le collectif aura probablement eu le même impact émotionnel sur son public que les œuvres au pochoir du célèbre artiste.
Au-delà du spectacle lumineux et visuel, ce qui m'aura surtout touché, c'est la présence sur scène de la chanteuse Elizabeth Fraser, du cultissime groupe Cocteau Twins. Cette Écossaise de 60 ans est la voix derrière les sublimes chansons Teardrop, Black Milk et Group Four de l'abum Mezzanine (1998).
Une grande dame qui n'a rien perdu de son aura et dont la voix éthérée et céleste est considérée comme un instrument à part entière.
Le journal britannique The Telegraph l'avait même baptisée «La voix de Dieu», un surnom qui n'est en rien galvaudé, puisque c'est véritablement par son timbre que j'ai été touché par la grâce, comme les 3 000 personnes qui m'accompagnaient.
L'espace d'une soirée, Montreux aura connu un show éblouissant où le politique s'est mêlé à la musique avec un concert qui prend aux tripes, livrant un coup de massue dont on ressort un peu plus conscient, mais surtout un peu plus léger.