On a vu la série qu'Apple a décidé de retirer par peur de la polémique
Les premières minutes montrent un homme cagoulé, s'exprimant face caméra et crachant un monologue qui transpire la haine. Les réseaux sociaux s'embrasent et une poignée d'influenceurs violents sortent du bois, ceux qui se tapissent dans les recoins sombres du virtuel pour nourrir des groupuscules aux intentions peu louables.
Depuis sa maison dans l'Ohio, Jodi (Jessica Chastain) enquête au milieu de ces âmes assoiffées de mépris; elle se glisse sur un terrain dangereux, incertain, qui peut se retourner contre elle au moindre faux pas.
La série aborde un thème qui fait écho à la situation actuelle, deux semaines après l’assassinat de l’activiste d’extrême droite Charlie Kirk. Apple TV+ a d'ailleurs repoussé la diffusion de la série. Un communiqué de la société expliquait qu'«après mûre réflexion, nous avons pris la décision de reporter la sortie de The Savant». Les dates seront communiquées ultérieurement.
La situation est tendue. Ce qui a fait dire à Jessica Chastain sur Instagram qu'elle n'était «pas alignée» avec la décision de la firme. Elle rappelle aussi que «cette série est malheureusement d’actualité».
Une enquête de 2019
The Savant est inspirée d’une enquête de la journaliste Andrea Stanley, publiée en 2019 par le magazine Cosmopolitan. Le titre de l'article est:
Le récit se tisse sur les forums, là même où un concentré d'hommes (le plus souvent) se retrouvent pour échafauder des plans machiavéliques. Elle est surnommée la «savante» pour son instinct et sa faculté à cerner lorsqu'un discours de haine peut déraper. Elle se glisse dans les interstices pour mieux stopper le poison qui infuse dans ces esprits vengeurs - ou frustrés, c'est selon.
Jessica Chastain incarne cet oeil de Moscou du virtuel, toujours sur ses gardes pour éviter de se faire pincer par des factions qui se radicalisent, spécialement les alt-right, ces suprémacistes blancs furieux contre la société. On pense alors à différents films, comme Skin de Guy Natiiv, sorti en 2019, par exemple. Ces groupuscules d'extrémistes qui ne s'expriment que par la violence, sans limites, le cerveau lavé par la colère.
Un boulot comme chape de plomb
Cette menace prégnante peut s'abattre à tout moment sur Jodi et sa famille. C'est avec cette chape de plomb sur la tête qu'elle avance et mène une existence millimétrée, discrète. L'une de ses collègues se fait par exemple griller et son identité filtre sur les forums.
Infiltrer ces milieux, c'est vivre indirectement avec eux. The Savant réussit à s'équilibrer entre contexte familial et dimension politique. Le drame, adapté pour le petit écran par Melissa James Gibson, montre les fractures d'une société américaine et la difficulté d'avaler un torrent de haine au quotidien pour n'importe quel individu.
Surtout, il montre un pays, une société qui plonge son esprit dans les écrans et la multitude de discours haineux balancés sur les plateformes. On y explore alors la (fameuse) théorie du «grand remplacement», chère à Renaud Camus. La série met aussi le doigt sur la radicalisation de très jeunes hommes pour préparer la vendetta des patriotes.
Jessica Chastain, sa paire de lunettes sur le nez, laisse son jeu d'actrice façonner une incertitude, une existence en rupture à force de comprendre à quel moment l'un de ces criminels va passer à l'acte.
Tout est question d'équilibre, comme l'évoque l'épisode 4 où Jodi revient sur son passé pour gagner la confiance de ses interlocuteurs.
Dans son ensemble, de facture classique, cette production Apple est une autoroute qui coche les bonnes cases. Entre cadence, maîtrise, jeu et exécution, The Savant expose l'existence d'une femme qui peine à s'investir dans sa vie de famille, mais surtout qui peine à dormir à force de contenir ce flot de colère en ligne, qui se transforme en déflagration dans le monde réel.
«The Savant» est prévue prochainement sur la plateforme Apple TV+.