Diffusée depuis le 26 juin sur Canal+ (deux après la précédente), chaque jeudi, la troisième saison prouve que Yellowjackets a grandi et pris en ampleur dans la sauvagerie, dans l'humour noir bien emballé.
Après un premier round pour chatouiller nos souvenirs endoloris après tant de temps à attendre la suite (près de deux ans et une grève des scénaristes à Hollywood), cette nouvelle salve s'avance pour son examen.
Il est l'heure de tirer le bilan.
Les adolescentes, basculées au beau milieu de la forêt et de cette incertitude galopante après leur crash aérien, continuent de se dépatouiller dans les bois. Loin de toute civilisation, elles n'ont pas fini de se battre pour vivre, sentir le froid de l'hiver les fouetter. Il leur faut désormais s'organiser, composer avec les désirs de domination de l'une et l'autre, loin des normes sociales et de l'autorité des adultes.
On repense alors à cette série, The Society (2019) sur Netflix, injustement arrêtée, qui emprunte les mêmes sentiers de réflexions sociales.
Dans cette saison 3, c'est open-bar: la série décide de mettre une bonne pincée de violence. Shauna (Melanie Lynskey), Taissa (Tawn Cypress), Misty (Christina Ricci) n'ont de choix que traverser leurs souvenirs, sentir l'âme de la forêt les gifler. La réalité est malaxée et bousculée dans l'esprit des survivantes. Et plus la série fouille, plus la réalité prend des allures de trip sous anxiolytique.
A la fin de la saison 2, la jeune Callie (Sarah Desjardins), la fille de Shauna, avait pris en pleine face la mort, celle de Natalie (Juliette Lewis). Elle comprenait que des choses pas très jolies s'étaient déroulées dans cette fameuse forêt; que sa mère n'est pas un ange, mais plutôt une guerrière - ou une reine.
Ces quinze mois de solitude forcée et d'apprentissage de rites sacrificiels ont laissé de grosses traces sur les âmes et sur les corps. Yellowjackets persévère dans le registre en adaptant Sa Majesté des mouches, tout en injectant de cette dose de surnaturel comme l'avait empoigné Lost.
La série, pensée par Ashley Lyle et Bart Nickerson, se débarrasse de tout son vernis adolescent un brin lancinant pour mieux sonder la sauvagerie qui se trame au milieu de cette bande d'ados perdues.
Cette troisième saison démoule aussi une sorte de grand huit de transmission, entre Shauna et sa fille Callie, mais également entre la Shauna ado et la Shauna adulte. La trajectoire de ce personnage est la plus fulgurante, la plus détonnante, grâce à un tandem d'actrices au top de leur forme: Sophie Nélisse, dans la version ado, et Melanie Lynskey, dans la version mère de famille.
Ce même parallèle pour chacun des personnages, entre les ados et les adultes, est l'un des meilleurs atouts du show. Van, Shauna, Misty ou Tai charrient les souvenirs et construisent cette charpente d'un passé impossible à enterrer. Si bien qu'une autre vient déterrer les vieux démons pour semer la discorde: Melissa, jouée par Hilary Swank, un personnage central qui débarque tardivement dans l'histoire
Melissa, un flirt adolescent de Shauna, fonctionne comme un train fantôme, ravivant les vieux spectres d'un passé qui vous agrippent la face pour vous faire cracher vos cauchemars les plus profonds.
Des souvenirs nébuleux démoulés par une cohorte d'actrices incarnant admirablement le malaise et les blessures du passé, parfois à la lisière de la folie.
Si le script paraît un poil désordonné, que les cliffhanger s'enchaînent, il y a une réelle profondeur dans chacun des personnages, laissant valdinguer les sentiments réprouvés.
Les plus sceptiques diront que les dix épisodes laissent de nombreuses réponses en suspend, et à raison. Assurément, elles peuvent embêter le spectateur sur le chemin de la bonne compréhension de l'histoire. Pêle-mêle: qui a bouté le feu à la cabane à la fin de la saison dernière? Le sabotage des freins de la voiture de Shauna était-il vraiment une coïncidence ou un acte délibéré?
Quand bien même certaines mauvaises pièces du puzzle peuvent provoquer des soupirs, elles ne sont que des pinaillages tant il y a une vraie générosité dans l'écriture; un vrai cocktail d'humour noir, de drame et d'horreur soft.
Yellowjackets se bonifie dans cette troisième saison, générant une forme d'excitation et d'emprise qui éclaboussent les aficionados de la série.
Loin de la forêt et des esprits qui ont inondé les jeunes cerveaux, jusqu'aux hallucinations répétées, il y a une forme qui se dessine dans cette nuée de conifères aux accents maléfiques. Emprisonnées dans ce bourbier, les ados ont ciselé cette forêt jusqu'à en libérer la sauvagerie qui sommeillait en elles.
Ce crash aérien n'a fait que réveiller les caractères vengeurs et ravageurs de ces ados avant de les voir vieillir avec leurs traumas. Le retour à la vie normale, une fois l'adolescence derrière, fait l'effet d'un sédatif fortement dosé. Une fois l'effet atténué, la nature reprend le dessus.
«Yellowjackets» (saison 3) est à visionner sur la plateforme Mycanal.