C'est un gamin de 22 ans qui a réussi son pari, qui a dopé les ventes de billets dans les salles de cinéma grâce à son désir de gravir l'Everest. Conquérir le toit du monde n'est pas chose aisée, tout comme les pics dans ces montagnes enchanteresses de l'Himalaya.
Inoxtag s'est farci l'Ama Dablam, un sommet technique à plus de 6800 mètres, avec des crêtes vertigineuses et une beauté à couper le souffle. Il a musclé sa préparation avec le Lobuche (6119 m) pour vraiment compléter son apprentissage avant de se mesurer à l'Everest.
Durant son film de près de 2h30, intitulé Kaizen, il retrace sa découverte de la montagne, son premier contact avec les crampons et les piolets, sa rencontre avec son ange gardien Mathis Dumas. Le guide de haute montagne va lui enseigner les codes et la difficulté du milieu alpiniste.
Mentalement, comme l'expliquait Dumas, cette quête était épuisante. «Il faut faire attention à tout, tout le temps, et c'est long», analysait-il sur France TV. Il opérait comme caméraman, guide et superviseur du projet. Inoxtag n'avait qu'à se concentrer sur sa montée.
Et le rendu est bon, avec une mise en scène immersive pour le spectateur, offrant des images d'une beauté effarante (difficile de se rater sur l'un des plus beaux terrains de jeu du monde). Un film qui magnifie la montagne et qui narre l'exploit du jeune Français de 22 ans, sur le toit du monde, à 8849m.
L'émotion est grande et le gamin finit en larmes. Pari gagné. Place à une farandole dégoulinante de sentimentalisme. Il se plaît à nous dégoiser un discours digne d'un ouvrage de développement personnel qu'on trouve sur les étagères du même thème d'une librairie.
Nous sommes loin des récits épiques de Sir Edmund Hillary, le premier à avoir dompté le sommet himalayen en 1953, voire à des kilomètres des furieux récits de George Mallory et Sandy Irvine. Car la montagne est un art qui s'apprend. Mallory, en 1924, avait fait de l'Everest une obsession, une quête absolue, et lâchait cette phrase devenue mythique dans le milieu de l'alpinisme: «Parce qu'il est là».
L'Everest est bien là. Et aujourd'hui, il chatouille les envies d'individus au porte-monnaie bien remplis et en mal de sensations fortes. Ils ont transformé la montagne mythique en une autoroute, en la dénaturant de sa poésie incertaine. Les files sur les crêtes sont une illustration de cette mascarade commerciale.
Inoxtag a participé à ce tourisme pour riches (pseudo) alpinistes. Et derrière cette course (pseudo) existentielle, son discours mal torché passe mal. Les mots choisis par Inoxtag résonnent comme une mauvaise conférence TEDx sur le dépassement de soi. Son désir de grimper l'Everest devient même imperceptible.
Au fond, cette question, «pourquoi gravir l'Everest?» s'adresse en chacun de nous; c'est une analogie qui se greffe à notre quotidien. Or cette interrogation reste très personnelle et devrait le rester. Il fallait à Inoxtag conquérir l'Everest pour se sentir exister et narrer son guide de développement personnel. «J'ai appris la vie, je me sens vivre, gros (réd: en s'adressant à Mathis Dumas), je te jure. Dans la vie, y a rien qui se fait tout seul», lâche-t-il, avant de remercier (rapidement) ses partenaires sur le terrain et financiers. C'est là que le bât blesse: la quête personnelle et humaine ne l'est plus, elle devient marketing et faussement inspirante.
La logistique monstrueuse est financée à hauteur de plusieurs millions et la performance devient tout de suite moins exceptionnelle. Oui, la montagne est intraitable, mais le parcours pour y arriver est nettement facilité par tout le barnum qui entoure l'escalade d'Inoxtag. Soit, ses partenaires qui ont mis la main à la poche (Orange, Nike), les six sherpas qui font office de boussole et de porteur, deux cadreurs, et une équipe de tournage aux petits oignons pour hisser le Youtuber sur le toit du monde.
C'est une montée quasiment sur sentiers, entre gros magot et montagne démythifiée. Inoxtag expliquait que pour chaque personne, la facture était évaluée à «50 000 euros par personne», selon les mots du Youtubeur dans l'émission Quotidien sur TMC. Croire en ses rêves à un prix.
Ainsi, poussé par les caméras, par une nouvelle vision de la vie, Inoxtag nous tartine un discours taillé pour le citadin, et portant sur l'apprentissage accéléré de la vie. Il nous parle de son besoin obsédant d'aventure, pour remettre un peu d'ordre dans sa vie. Pourtant, il n'est pas le premier à le faire, ni le dernier.
On repense alors à Cheryl Strayed, cette Américaine qui dérivait dangereusement, droguée à l'héroïne et aux démons du passé, qui prenait son gros sac sur le dos pour avaler les 1700 kilomètres sur le Chemin des crêtes du Pacifique (Pacific Crest Trail). Elle a marché seule, en a tiré un livre (Wild) devenu best-seller. Son histoire a même été adaptée au cinéma.
De ces deux récits, il y a cette recherche de rupture avec son existence. Sauf que dans la tête d'Inoxtag, on ressent des motivations différentes, une recherche à faire le buzz et à vendre son image. Concernant Cheryl Strayed, elle n'avait pas le choix; elle n'avait qu'une citation d'Emily Dickinson en tête: «Si ta volonté te lâche, dépasse ta volonté». Personne n'était présent pour la relever si elle tombait.
Le message positif d'Inoxtag fonctionne sur des millions de jeunes fans. Tant mieux. Les pousser à sortir de leur chambre est un excellent discours. Néanmoins, en le décortiquant, il était inutile de foncer vers l'Himalaya pour se sentir exister et se rapprocher de la Nature, comme il se plait à le marteler.