«L'argent pour améliorer les salaires en Suisse est bien là»
Les chiffres sont limpides: l'an dernier, le salaire médian pour un poste à plein temps s'élevait à 7024 francs bruts par mois, contre 6788 en 2022. C'est ce qui ressort de la dernière enquête de l'Office fédéral de la statistique (OFS), publiée ce mardi matin. Depuis quelques années, la tendance est à la hausse.
Dans les faits, pourtant, la situation est souvent différente. Ces chiffres ne prennent pas en considération les effets néfastes de l'inflation, souligne Noémie Zurlinden, économiste chez le syndicat Unia. Elle dénonce la baisse du pouvoir d'achat et réclame des mesures pour augmenter les salaires. Interview.
Selon les chiffres de l'Office fédéral de la statistique (OFS), les salaires augmentent en Suisse depuis des années, pourtant les conditions de vie se durcissent. Comment l'explique-t-on?
Noémie Zurlinden: Ces dernières années ont été marquées par un taux d'inflation élevé et par une forte hausse des primes d'assurance maladie, qui continuent par ailleurs d'augmenter. La progression des salaires ne suffit plus pour suivre l'évolution du coût de la vie.
Les chiffres de l'OFS cachent-ils donc une partie de la réalité?
Ces chiffres ne portent que sur les salariales nominaux: ils ne prennent pas en compte l'impact de l'inflation. Cela dit, cette enquête est très importante, car elle contient beaucoup d'informations détaillées sur la distribution des rémunérations au sein de la société, ainsi que sur les écarts entre les branches et les genres.
Qu'en est-il donc des salaires réels?
Les salaires réels se situent aujourd'hui au même niveau qu'en 2015. Cela veut dire que le pouvoir d'achat n'a pas évolué depuis dix ans. Depuis la pandémie, il a même diminué. Des hausses des salaires substantielles sont nécessaires pour corriger ce décalage.
Quelles sont les mesures que vous préconisez?
Tout d'abord, les employeurs doivent augmenter les salaires de tous et toutes les travailleurs et travailleuses. Souvent, ils refusent de le faire au motif que les conditions sont incertaines. C'est un prétexte. Beaucoup d'entreprises ont profité du renchérissement, qui leur a permis d'augmenter les prix. De plus, les très gros salaires et les dividendes continuent d'augmenter.
Il est également important d'introduire la compensation automatique du renchérissement dans les conventions collectives de travail, afin de garantir que le pouvoir d'achat des travailleurs ne diminue pas.
Faut-il également agir au niveau politique?
Oui. Le salaire minimum devrait être introduit dans tous les cantons. Cela est très important pour les branches les moins bien payées de la population, lesquelles représentent beaucoup de personnes. L'OFS a beau affirmer que la part des bas salaires n'a pas augmenté depuis 2008.
De plus, on constate que le salaire minimum est attaqué, notamment au Parlement fédéral. Le National a validé un projet stipulant que les conventions collectives de travail doivent primer sur les lois cantonales en la matière. C'est un problème.
Quelles sont les branches les plus exposées aux bas salaires?
Certains secteurs de l'économie affichent un salaire médian particulièrement faible. C'est le cas du commerce de détail, de la restauration, de l'hôtellerie et des services à la personne, dont font par exemple partie les coiffeurs et les coiffeuses. Il s'agit souvent de branches où la part de femmes est très importante.
En parlant de femmes, elles continuent de percevoir un salaire inférieur à celui des hommes, bien que cet écart se réduise progressivement. Comment explique-t-on qu'il soit toujours là?
La première raison est liée à ce que je viens de dire: les femmes sont encore très présentes dans des secteurs de l'économie qui ne sont pas suffisamment valorisés et où les salaires sont faibles. Deuxièmement, elles continuent d'assurer la plupart des tâches domestiques non rémunérées, et, par conséquent, elles travaillent souvent à temps partiel.
La discrimination active joue-t-elle encore un rôle?
Oui. On constate que les femmes continuent d'être moins souvent promues. Parfois, elles perçoivent un salaire inférieur à celui d'un collègue masculin pour le même travail. Seule la moitié de l'écart salarial peut être expliquée par des facteurs tels que la branche ou la profession. Le reste découle de ces mécanismes discriminatoires.
Existe-t-il des mesures spécifiques pour corriger cette situation?
Suite à la révision de la loi sur l'égalité, les entreprises avec plus de 100 employés ont dû analyser la situation à l'interne. Cela ne va pas assez loin: de telles analyses devraient être menées régulièrement, puisque la situation peut toujours changer. Ces mesures devraient également s'accompagner de contrôles effectifs et de sanctions en cas de non-respect de la loi.
