En Suisse, les oiseaux fredonnent sur les toits des maisons une mélodie dont personne n'aime se souvenir. Un peu plus d'un an seulement après que la Banque nationale suisse (BNS) a enfin pu déclarer – après sept longues années – la fin du régime des taux d'intérêt négatifs, les contours de ce fléau économique se profilent à nouveau à l'horizon.
Il est désormais établi que le taux directeur sera abaissé en décembre, et ce pour la quatrième fois de l'année, d'un quart de point de pourcentage à 0,75%. Les marchés des taux d'intérêt ont déjà pris en compte depuis longtemps d'autres mesures.
Ainsi, les hypothèques d'une durée d'environ cinq ans ne coûtent qu'un peu plus de 1,5% depuis le dernier printemps. Il est fort possible que le prix de ces hypothèques à taux fixe continue de baisser si l'attente générale d'un retour au régime des taux négatifs se confirme. Au vu des expériences passées, la limite inférieure se situe autour de 1%.
Vendredi, le président de la Banque nationale suisse Martin Schlegel s'est exprimé à l'Université de Zurich lors d'une conférence publique sur la politique monétaire.
Ce genre de déclaration n’est jamais fait sans arrière-pensée, surtout de la part d’un responsable de la politique monétaire suisse. A la BNS, les interventions visant à influencer les attentes sur un horizon de plusieurs mois ou plus sont en principe mal vues.
Pourtant, c’est précisément ce qu’a fait Schlegel dans son intervention. Il a rappelé à l’auditoire, composé notamment d’économistes venus de l’étranger, une vérité bien connue: en période de crise économique et d’instabilité, le franc suisse est une monnaie refuge très prisée. Une situation qui, bien que rassurante, présente aussi des inconvénients.
Certes, le franc fort rend les importations moins chères, ce que chaque automobiliste qui fait le plein d'essence ou chaque propriétaire de maison individuelle qui brûle du mazout célèbre naturellement. Mais dans la petite Suisse, qui exporte beaucoup et importe presque autant, l'appréciation du franc peut entraîner une baisse trop importante des prix.
C’est pourquoi, selon Schlegel, il est préférable pour la Suisse, contrairement à d’autres banques centrales, de considérer la stabilité des prix comme un objectif flexible, avec un taux d’inflation situé entre 0% et 2%. Cela permettrait à la Banque nationale d’intervenir moins fréquemment sur le taux directeur ou sur le marché des changes, que ce soit pour soutenir ou freiner le franc suisse.
Un objectif d’inflation flexible est utile pour contrer les forces déflationnistes. Le danger de la déflation réside dans son caractère auto-entretenu: elle peut inciter les entrepreneurs et les consommateurs à reporter leurs investissements et leurs dépenses, espérant une baisse des prix future. Ce phénomène finit par freiner, voire par stopper, la croissance économique.
Il n’est pas anodin que les propos de Schlegel s’inscrivent parfaitement dans le contexte actuel. En Allemagne, la grande industrie s’apprête à connaître des vagues massives de licenciements. Dans d’autres grandes économies de la zone euro, notamment en France, le climat des affaires et le moral dans l’industrie sont également au plus bas. Et si l’inflation dans la zone euro venait soudainement à chuter? Et si les taux d’inflation en Suisse repassaient prochainement en territoire négatif?
La question mérite d’être posée avec insistance. Bientôt, les récentes baisses du taux directeur de la BNS, ainsi que celles à venir, entraîneront une nouvelle diminution des loyers. Sans le décalage dans la baisse du taux d’intérêt de référence hypothécaire, qui joue un rôle clé dans l’ajustement des loyers, l’inflation en Suisse serait déjà inférieure aux 0,5% que la Banque nationale prévoit pour le deuxième trimestre 2025. Sur l’ensemble de l’année, toutefois, elle reste encore légèrement au-dessus de 1%.
Agir rapidement, telle est la devise de la Banque nationale suisse. Au printemps 2022, elle avait réagi plus vite que d’autres banques centrales face au retour de l’inflation, gagnant ainsi la crédibilité nécessaire pour être la première à abaisser son taux directeur en mars dernier. «Allez-vous poursuivre cette politique de baisses rapides du taux directeur en cas de chute brutale et soudaine de l’inflation?», a interrogé vendredi l’économiste en chef d’une société d’investissement britannique. Pour les investisseurs professionnels, mais aussi pour les propriétaires en pleine renégociation hypothécaire, répondre correctement à cette question pourrait être une opportunité de gains considérables.
Dans l’hypothèse plausible d’une dégradation rapide du climat économique en Europe, plusieurs arguments militent en faveur d’un retour rapide du taux directeur à zéro, voire en territoire négatif. Deux points en particulier ont été évoqués lors de cette conférence.
Premièrement, les baisses du taux directeur restent l’outil principal de toute banque centrale. Ceux qui estiment que la BNS pourrait privilégier une intervention sur le marché des changes, par exemple en affaiblissant le franc via des achats de devises, risquent de se tromper. L’expérience montre que ces interventions sont d’autant plus efficaces lorsque les marges de manœuvre offertes par le taux directeur sont déjà pleinement exploitées. D’ailleurs, le vice-président de la BNS, Antoine Martin, avait formulé des observations similaires cet été.
Deuxièmement, Marc Giannoni, économiste en chef chez Barclays, a souligné que les prévisions d’inflation de la BNS sous-estiment depuis un certain temps la réalité. Trimestre après trimestre, la Banque nationale doit constater que l’inflation (hors effets spécifiques, comme ceux liés aux loyers) recule plus rapidement que le taux directeur. Cette situation a pour effet d’augmenter les taux d’intérêt réels (corrigés de l’inflation), alors qu’ils devraient baisser dans un contexte économique récessif pour freiner la déflation. La Banque nationale semble donc préparer le terrain à un retour des taux négatifs.
Martin Schlegel aurait probablement espéré débuter son mandat avec une mission plus gratifiante.
(Traduit et adapté par Chiara Lecca)