L’Amérique, justement elle, incarnation du monde libre, pionnière de la mondialisation, veut revenir au protectionnisme. Retourner à l’époque d’avant la Seconde Guerre mondiale. Or ce n’est pas uniquement, mais précisément grâce au libre-échange que l’Amérique est devenue riche. C’est un consensus chez les économistes, à l’exception peut-être de quelques marginaux très à gauche et étatisants.
Trump a fait campagne avec les droits de douane, qualifiant le mot «tariff» de plus beau qui soit. Le coup de marteau était donc annoncé. Deux choses restent néanmoins étonnantes:
Quand Trump impose des tarifs élevés à la Chine, «adversaire systémique» des Etats-Unis, cela peut se justifier. Les entreprises américaines doivent avoir un incitatif à ne pas y produire. Mais Trump sanctionne aussi l’Union européenne, le Royaume-Uni, et même l’Argentine, dirigée par son copain Milei.
Parmi les amis des Etats-Unis figure incontestablement la Suisse. Elle est frappée par un droit de douane punitif de 31%. Ce chiffre relève de la magie, un bricolage typique de Trump: ses fonctionnaires ont divisé le déficit commercial des Etats-Unis envers la Suisse par la valeur des biens importés d’Amérique par la Suisse. Ce ratio a ensuite servi de base pour le calcul du tarif.
Cette «logique» s’applique également au calcul des droits de douane pour d’autres pays. Elle a pourtant peu de sens, notamment parce qu’elle ne tient pas compte de la nature des biens échangés. Dans le cas de la Suisse, l’approche est particulièrement incohérente: les produits pharmaceutiques – de loin les principales exportations – semblent exemptés de droits de douane. Pourtant, ils sont inclus dans la formule magique des 31%.
Si la Suisse produit simplement le meilleur chocolat et que les Américains veulent en manger, c’est dans l’intérêt des Etats-Unis. L’alternative est en tout cas moins bonne: les Américains continueront à acheter le chocolat suisse, mais le paieront 31% plus cher. Ou bien, ils se tourneront vers le chocolat américain, qu’ils aiment pourtant moins. La prétendue «ère dorée» que Trump veut inaugurer ne pourra pas s’épanouir à grande échelle.
Il est également irréaliste que les fabricants suisses de chocolat délocalisent leur production aux Etats-Unis. Tout aussi irréaliste d'imaginer que l’industrie suisse des machines décide de construire des usines là-bas. Ce genre de décisions entrepreneuriales ne se prend pas pour une période de trois ans et demi, la durée restante du mandat de Trump.
Il est presque certain que ces droits de douane ne survivront même pas à son mandat. Comme durant la pandémie de Covid qui a mené à sa défaite électorale, Trump ne pourra pas gouverner indéfiniment contre les faits. Rien ne rend plus impopulaire aux Etats-Unis qu’une inflation élevée, a fortiori une récession. Si les droits de douane de Trump conduisent à cela, le vent tournera vite contre le président. Car ce sont les «petites gens», ceux dont il prétend être le porte-parole, qui ressentent l’inflation en premier.
La «main invisible du marché», en laquelle les capitalistes ont toujours eu foi, résoudra probablement aussi ce problème. Si l’inflation augmente, l’adhésion à Trump baissera, et ce dernier a un talent inégalé dans un domaine: revenir sur ses décisions.
Le Conseil fédéral ne devrait donc rien précipiter. Se lancer dans une guerre commerciale et annoncer de lourdes contre-mesures sur les produits américains n’aurait que peu d’effet. La diplomatie suisse doit se montrer plus rusée. The Art of the Deal, le livre de Trump, a, espérons-le, déjà été lu dans les départements fédéraux à Berne.
Il serait aussi utile de se former à la gestion des narcissiques. Si les relations de la Suisse avec l’administration américaine sont aussi bonnes qu’on le dit à Berne, il faudra trouver des solutions pour faire baisser ces 31%. Idéalement, avant que la «main invisible du marché» pousse Trump à faire machine arrière.
(traduit et adapté de l'allemand par jah)