Deux semaines après avoir reposé son fessier dans le Bureau ovale, le 47ᵉ président des Etats-Unis a déjà renoué avec son style politique brutal, outrancier, imprévisible. Une gouvernance par décrets où se succèdent les décisions spectaculaires et les assauts contre «l'ennemi», qu'il s'agisse de la Chine ou de l'UE.
Ainsi, en moins de quatorze jours, Donald Trump a signé plus de soixante executive orders. Chacun marquant un tournant radical dans la politique intérieure et extérieure des Etats-Unis. Pour ne citer qu'eux: le retour de tarifs douaniers exorbitants, l'annexion annoncée du Groenland, la fin du droit du sol, une politique migratoire de plus en plus restrictive.
Derrière le chaos apparent et l'enchaînement erratique de décisions, en réalité, un schéma bien établi qui n'a rien de nouveau. Les annonces de guerre commerciale, les ruptures d’accords et les changements de ton abrupts sont autant de tactiques de déstabilisation. Un moyen de forcer les négociations à l'avantage de l'ancien homme d'affaires, en créant la panique chez ses adversaires et alliés commerciaux.
Des principes que Donald Trump applique depuis le début de sa carrière dans l'immobilier et qu'il a exposés dans son livre en 1987, The Art of the Deal. Un ouvrage qui avait captivé le monde des affaires.
«Mon style de négociation est assez simple et direct. Je vise très haut et puis je ne cesse de pousser, pousser et pousser pour obtenir ce que je veux», résumait alors l'auteur. Viser très haut, brouiller les pistes, jouer l'indifférent et, enfin, exercer une pression maximale.
Comme le note le groupe de réflexion économique The Trusted Agency, Donald Trump privilégie la tactique du «couteau sous la gorge». Une philosophie qui se reflète désormais dans ses stratégies extrêmes sur la scène internationale, où il n'a jamais hésité à renégocier un accord déjà signé ou à exiger des concessions de dernière minute.
Si elle s'avère redoutable d'efficacité lorsqu'il s'agit d'obtenir des bénéfices immédiats, la méthode peut toutefois s'avérer à double tranchant, selon les experts économiques, diplomatiques et politiques. Les partenaires deviennent réticents à l’idée de conclure de nouveaux accords - ou pire, se mettent en quête d’alliances alternatives pour contrer la domination établie.
Sur la scène internationale, c'est encore loin d'être le cas pour les nations visées par les récentes sanctions commerciales du nouveau président américain. Jusqu'à présent, les principaux concernés - Canada, Mexique et Chine - ont agi dans la panique et en ordre dispersé.
Pendant que le grand voisin du nord a joué la carte de la riposte en deux-temps, en imposant des contre-mesures tout en laissant la porte ouverte à une désescalade, le Mexique a exploré de son côté un «plan B», pour minimiser les dommages aux secteurs stratégiques comme les banques, tout en imposant des tarifs douaniers ciblés. Quant à la Chine, elle a opté pour une posture plus modérée, se contentant de protestations formelles auprès de l’OMC et de menaces vagues de représailles.
Dans cette guerre de nerfs, où chaque partenaire commercial tente de contenir les dégâts, les dirigeants européens, eux, se comportent «comme des lapins éblouis par les phares d’une voiture», compare le professeur d'économie Jean Pisani-Derry dans un éditorial dans Le Monde. Face aux premiers assauts, l'Union européenne oscille entre consternation et hésitation, incapable de formuler une réponse coordonnée aux attaques.
Pour l’ancien ambassadeur Gordon Sondland, il est absolument nécessaire de maintenir le dialogue avec le truculent chef d'Etat. Et le plus directement possible. «Prenez l’avion», préconise-t-il carrément dans le Financial Times. «Allez à Mar-a-Lago. N’amenez pas de cortège. Asseyez-vous avec le président Trump et commencez à parler de ce que vous pouvez faire aujourd’hui, demain, et non dans 20 ans.»
Une approche qui n'est pas sans rappeler la tactique de l'ancien premier ministre japonais Shinzo Abe, qui avait réussi à établir une relation de confiance - voire d'amitié - avec Donald Trump en multipliant les flatteries et les rencontres informelles. «Je dirais à tout dirigeant étranger, en particulier en Europe… de regarder ce qu’Abe a fait et d’essayer de l’imiter», suggère l’ancien conseiller à la sécurité nationale des Etats-Unis, John Bolton, dans le Financial Times. Un bon point de départ?
Face à Donald Trump et à son style volontairement agressif et provocateur, pas de miracle. Alors que le Canada, le Mexique et la Chine misent sur des contre-mesures calculées et sur des gestes d’apaisement pour éviter l'escalade, l'UE doit s'extirper de sa torpeur et apprendre à naviguer dans l’ère Trump avec lucidité et pragmatisme.
Ce qui n'a rien d'impossible, selon la magistrate française Magali Lafourcade, la semaine passée sur France Inter. «Les Européens ont perdu toute naïveté vis-à-vis de Trump. Ils savent qu’il est capable de mettre un certain nombre de menaces à exécution.»
Peut-être. Mais, comme le souligne The Economist, «lorsqu’une superpuissance a l’intention de faire exploser le système commercial mondial et d’intimider ses principaux partenaires économiques»... Il n'y a pas de «solution simple». Face à l'imprévisible Donald Trump, l'important n'est pas vraiment de gagner. Surtout d’éviter de perdre trop gros.