Le secrétaire américain au Trésor, Scott Bessent, est fier de lui: pour la première fois, il a réussi à négocier un important accord bilatéral. Côte à côte avec la ministre ukrainienne de l'Economie, Ioulia Svyrydenko, le ministre de 60 ans a fièrement apposé sa signature sur un accord concernant les matières premières entre les Etats-Unis et l'Ukraine. L'objectif du pacte est de financer la reconstruction du pays ravagé par la guerre.
Et comme Bessent jouera également un rôle central dans les prochaines négociations commerciales entre les Etats-Unis et la Suisse, il vaut la peine d'examiner de près le résultat des négociations.
Le plus marquant dans l'affaire est la manière dramatique dont se sont déroulées les négociations. Il suffit de regarder l'esclandre qui a eu lieu à la Maison Blanche il y a deux mois, lorsque le président ukrainien Volodymyr Zelensky aurait dû signer une première version de l'accord. Ils ne sont jamais arrivées aux signatures, car Zelensky s'est disputé avec le vice-président américain JD Vance et a ensuite été expulsé de la Maison Blanche par le maître des lieux Donald Trump.
Le succès de la nouvelle version de l'accord est resté incertain jusqu'à la dernière minute. Certes, Trump et Zelensky semblent à nouveau bien s'entendre après leur entretien de samedi dernier à Rome, en marge des funérailles du pape. Mais quelques heures avant la cérémonie de signature au ministère des Finances, les délégations se disputaient encore sur certains points.
La partie ukrainienne a exprimé des doutes sur la légalité des dispositions d'exécution du pacte; la ministre de l'Economie aurait dit qu'elle n'avait pas la compétence de signer un tel accord. Bessent s'est entêté et, selon le Financial Times, a rétorqué à Svyrydenko qu'elle rentrerait chez elle les mains vides si elle exigeait maintenant des concessions.
Le résultat montre que Svyrydenko a vraisemblablement remporté l’épreuve de force avec l’Américain. Sur le réseau social X, la ministre ukrainienne a annoncé que l’accord devait encore être ratifié par le Parlement ukrainien avant d’entrer en vigueur.
Les deux derniers mois de négociations semblent avoir permis à l'Ukraine de retirer de l'accord certains points très controversés. Ainsi, le fournisseur d'énergie public Energoatom, qui exploite notamment la centrale nucléaire de Zaporijjia, ne participera pas au fonds prévu par l'accord. C'est dans ce fonds que sera versée la moitié des recettes provenant de gisements de matières premières nouvellement exploités, comme l'aluminium ou le graphite.
De plus, l’accord ne contient plus aucune disposition stipulant que l’Ukraine devrait rembourser aux Etats-Unis leur aide militaire passée, chiffrée à plusieurs milliards. En revanche, les futures livraisons d’armes américaines — Svyrydenko a mentionné par exemple des systèmes de défense antiaérienne — seront considérées comme une contribution des Etats-Unis au fonds.
On behalf of the Government of Ukraine, I signed the Agreement on the Establishment of a United States–Ukraine Reconstruction Investment Fund.
— Yulia Svyrydenko (@Svyrydenko_Y) April 30, 2025
Together with the United States, we are creating the Fund that will attract global investment into our country. pic.twitter.com/8ryyAMqW83
Kiev a aussi obtenu que le fonctionnement du fonds reste compatible avec son objectif d’adhésion à l’Union européenne. Tous les bénéfices seront intégralement consacrés à la reconstruction de l’Ukraine durant les dix premières années. En échange, Washington s’engage à encourager l’implantation d’investisseurs américains. Les ressources naturelles, elles, resteront sous le contrôle exclusif du gouvernement ukrainien, a insisté la ministre.
Le soutien exprimé par Bessent en faveur d’une Ukraine «libre, souveraine et prospère» est perçu comme une victoire diplomatique pour Kiev — même si aucune garantie de sécurité explicite n’est accordée. Jusqu’ici, Donald Trump avait souvent tenu des propos conciliants envers Vladimir Poutine, déclarant encore récemment que le fait que ce dernier ne s’empare pas de toute l’Ukraine constituait déjà une concession.
«Nous avons conclu un accord qui crée des conditions avantageuses pour les deux pays», a déclaré Svyrydenko sur X. Un ton inhabituel, bien éloigné des enseignements préconisés dans le fameux The Art of the Deal, le bestseller de Donald Trump publié dans les années 1980 dans lequel il raconte sa stratégie pour négocier.
De bon augure, en tout cas, pour les négociateurs suisses, qui s’apprêtent à ouvrir des discussions commerciales avec Bessent. Il leur faudra sans doute faire preuve de patience — et peut-être demander quelques conseils à la ministre ukrainienne…
Traduit et adapté de l'allemand par Léa Krejci