La Commerzbank ne s'est jamais aussi bien portée depuis de nombreuses années. Cela pourrait également être une bonne nouvelle pour les PME suisses. La deuxième plus grande banque d'Allemagne veut donner un coup de fouet à la clientèle d'entreprises locale et s'engouffrer dans la brèche qui commence à s'ouvrir dans le paysage suisse, 12 mois après le rachat du Credit Suisse par l'UBS.
«Nous voulons une grosse part du gâteau», déclare Marc Steinkat, patron de la Commerzbank Suisse. Cet homme de 56 ans est arrivé à Zurich il y a bientôt dix ans pour proposer aux entreprises industrielles et commerciales locales des financements à l'exportation et d'autres services financiers connexes.
Marc Steinkat parle en sachant que les banques étrangères peinent à s'imposer en Suisse. En octobre, l'association faîtière de l'industrie Swissmem a demandé à ses entreprises membres si elles pensaient que les établissements de crédit étrangers étaient capables de combler le vide laissé par Credit Suisse. Seuls 30% environ ont répondu par l'affirmative.
Jean-Philippe Kohl, vice-directeur d'une importante organisation sectorielle, explique la méfiance des PME suisses par un scepticisme «qui traduit l'attente d'un partenariat à long terme et solide de la part de leurs créanciers». Jean-Philippe Kohl rappelle également que certaines entreprises gardent un souvenir amer de la crise financière de 2008.
Dans ce contexte, Thomas Steinkat met en avant la capacité de Commerzbank à surmonter les épreuves, y compris en Suisse. Le régime de taux négatifs en Europe a durement touché l'institut de Francfort, le précipitant dans les pertes en 2020. A suivi une restructuration profonde avec à la clé des suppressions d'emplois et des réductions des coûts. En Suisse également, le réseau de six succursales établi en 2014 a dû être recentré sur Zurich.
«Nous avons beaucoup appris, affiné notre modèle commercial, mis davantage l'accent sur le financement du commerce et ainsi mieux distingué la valeur ajoutée de la Commerzbank des autres banques», résume Marc Steinkat de ses années d'apprentissage en Suisse. Les efforts semblent avoir porté leurs fruits. «Nos clients nous encouragent fortement à continuer à nous développer en Suisse», affirme le manager, qui est lui-même devenu suisse en 2020.
Commerzbank affirme avoir des engagements de crédit envers des entreprises clientes suisses d'un montant total de 11 milliards de francs. Un chiffre non négligeable. A titre de comparaison, les entreprises privées de plus de 50 employés contractent actuellement en Suisse des crédits non hypothécaires d'un montant total d'environ 60 milliards de francs. La moitié de ces prêts ne sont pas garantis.
Les statistiques de la Banque nationale suisse (BNS) indiquent également que le volume des crédits blancs accordés aux entreprises privées de plus de 50 employés a diminué de près de 7 milliards de francs depuis fin 2020. Cette baisse n'est pas due à une restriction de l'offre, mais à une diminution de la demande. Quatre ans après le début de la pandémie de Covid-19, une grande majorité des entreprises suisses, y compris les PME, sont toujours solidement financées.
La situation peut toutefois changer très rapidement. Des enquêtes et des observations statistiques dans le segment des PME suisses exportatrices montrent que la demande de crédit des entreprises augmente de manière soudaine lorsqu'elles prévoient des changements importants de leur chiffre d'affaires, à la hausse comme à la baisse. Alors que les fortes poussées de croissance génèrent généralement un besoin d'investissement accru, des pertes de chiffre d'affaires abruptes peuvent entraîner une pénurie de liquidités.
Avec deux grandes Banques nationales actives sur le plan international juste devant leur porte, les entreprises exportatrices suisses bénéficiaient, jusqu'à récemment, d'une situation privilégiée en matière d'approvisionnement en crédits. Cela va changer lorsque Credit Suisse sera absorbée par UBS.
Raison pour laquelle le vice-directeur de Swissmem, Jean-Philippe Kohl, se félicite de l'offensive de Commerzbank.
Le vice-directeur s'exprime au nom d'une industrie qui, avec plus de 330 000 employés, fournit chaque année des exportations d'une valeur d'environ 70 milliards de francs, finançant ainsi près d'un cinquième de toutes les importations annuelles de biens de la Suisse.
Marc Steinkat, un brin provocateur, déclare que «si l'on devait refonder la Commerzbank, il faudrait le faire en Suisse». L'extrême orientation vers l'exportation de la Confédération helvétique est le gâteau dont la banque d'affaires allemande souhaite obtenir une large part dans les années à venir.
Le président de Swissmem, Martin Hirzel, affirme certes que les moyennes et grandes entreprises de son association entretiennent traditionnellement des relations avec des banques étrangères. «Mais en cas de récession, nous ne voulons pas être dépendants de celles-ci.» Dans de nombreux cas, une telle dépendance ne pourra toutefois guère être évitée. Dans ce contexte, la promesse de la Commerzbank – «nous sommes venus pour rester» – prend toute sa valeur, même si elle n'a pas encore passé le prochain test du mauvais temps.
(Traduit et adapté par Chiara Lecca)